Depuis quelques années, le genre super-héroïque au cinéma semble s’engager sur de nouvelles voies. Captain America : le Soldat de l’Hiver nous offrait un thriller politique, Iron Man 3 un buddy movie qui sentait bon les 90’s, Ant-Man un film de braquage comique, les deux Thor, Guardians of the Galaxy ou encore le dernier Fantastic Four ont chacun baigné à divers degré dans la science-fiction. Cette diversification des genres, bien partis pour se perpétuer avec le mystique Doctor Strange ou le politique Black Panther, apparaît pour beaucoup comme la planche du salut pour un genre qui risque de très vite tourner en rond. Si cet article se voulait une analyse de ce mouvement, il apparaîtrait que cette diversification relève bien plus souvent de la forme que du fond où les mêmes scénarios semblent se répéter inlassablement, mais là n’est pas le débat aujourd’hui. Car le film dont il est question ici fait partie d’un tournant enfin franchi en 2016 : les super-vilains ont enfin droit à leur film ! Après l’apéro servi par Deadpool, pas franchement un héros mais pas non plus présenté comme un vilain, puis trois films où les héros prenaient presque la place des vilains, Suicide Squad de David Ayer (End of Watch, Fury) promettait au spectateur de faire la part belle aux crapules embarqués dans des barbouzeries top-secrètes dont nul n’est assuré de revenir. Alors, mission réussie ou suicide sur pellicule ?
Waller’s antiheroes
Œuvre-chorale, Suicide Squad aligne des personnages parfois méconnus même des lecteurs qu’il va falloir présenter, développer et faire interagir en respectant plus ou moins le temps d’exposition de chacun. Si Avengers fait un peu office de maître-étalon dans la matière, Suicide Squad prend malheureusement le chemin inverse.
Sans surprise, en acceptant le rôle de Deadshot le très populaire et bankable Will Smith a apporté avec lui ce que les cassandres avaient prédits : il joue le Will Smith bon père de famille qu’il incarne en discontinue depuis une douzaine d’années, faisant tout juste mine d’être un peu méchant, et bouffe littéralement le temps de parole de chacun, si ce n’est Harley Quinn. Les plus critiques de la surexposition de la compagne du Joker depuis quelques années dans les comics en viendraient à finalement l’adouber, tant elle nous permet de permettre à un second personnage de bénéficier d’un peu de lumière sur scène. Le scénario semble avoir été (re)taillé pour l’acteur, toute la dangerosité du personnage transparaissant dans ses talents hors-normes pour les armes à feu étant annihilé par le peu de méchanceté qui se dégage de lui, l’assassin international du monde ne signant dans le métrage comme seul contrat d’assassiner un mafieux avec une gueule de mafieux pour le compte d’un autre mafieux sur un ton désinvolte mais jamais irrévérencieux.
Après qu’Harley Quinn ait pris les parts du gâteau restantes, les autres personnages se battent pour les miettes restantes. Captain Boomerang joue les rigolos de service en envoyant plus de canettes dans son gosier et de vannes foireuses aux spectateurs que de boomerangs vers ses ennemis, Killer Croc ne doit pas dire plus de cinq répliques dans tout le film relatives à chaque à son physique, El Diablo se la joue Son Gohan qui a peur de lâcher son potentiel jusqu’à ce que le scénario ait besoin de se débloquer, et l’Enchanteresse n’a rien à foutre là tant ses pouvoirs semblent disproportionnés et que la maîtrise de ses transformations semble évoluer au gré des besoins du scénario. Mention spéciale à Slipknot, dont la condition de membre de la dernière minute sans séquence de présentation condamne dès son arrivée comme membre-kleenex du groupe. Encore que ce sacrifice serve logiquement le scénario et envoie à sa très courte carrière dans l’équipe des comic-books.
Le bilan est tout aussi contrasté chez les représentants de l’ordre (qu’on n’ira pas jusqu’à qualifier de « gentils » vu leurs actions). Viola Davis campe l’Amanda Waller que l’on espérait voir, froidement manipulatrice et durement efficace tout en paraissant crédible dans ce rôle. Le bât blesse avec Rick Flag qui est dévoué comme il le faut à l’armée, mais sa love story ridicule avec l’Enchanteresse salit pas mal le tableau. Enfin Katana n’est là que pour faire de la figuration, l’aura de mystère entourant ce personnage sorti de nulle part principalement pour faire de la figuration et ne servir à absolument aucun moment d’une intrigue où se noie déjà trop d’autres personnages pour que l’on en rajoute. La nature mystique présumée de son sabre aurait pu jouer un rôle dans la résolution de l’intrigue, comme une substitution salvatrice de l’ignoble deus ex machina surgi du néant, mais le personnage reste jusqu’au bout un élément de décors présent pour des fans qui seront au final plus frustrés que flattés.
Le couple-star de film ne laissera sans doute personne indifférent. Comme beaucoup, j’ai trouvé que Margot Robbie était excellente dans son acting, son Harley Quinn est provocatrice et imprévisible à chaque minute mais parvient à devenir touchante lorsqu’elle pense le Joker disparu pour de bon, laissant tomber le masque de la folie quelques instant avant de se reprendre à l’arrivée de ses camarades infortunés. Les trahisons envers Harley Quinn que ressentiront certains lecteurs ne pourraient lui être reproché mais relève uniquement du scénario. Encore que ce point ne relève que du « fan-boyisme » et qu’un spectateur lambda n’y trouvera rien à redire à une Harley un brin plus sexualisée et surtout à la relation amoureuse entretenue avec le Clown Prince du crime allant à l’encontre de la relation tortueuse que l’on leur connaît d’ordinaire. Fini ici le syndrome de Stockholm masochiste et les rapports de domination, place à une histoire d’amour à la Bonnie & Clyde ! Et même après que Monsieur J ait sacrifié la vie d’Harley pour sauver sa peau, il finit par essayer de la récupérer par amour plus que par possession compulsive. La prestation de Jared Leto fera sans doute davantage jaser. Si son apparence mélangeant à la fois le gangster et la rockstar décadente paraît inédite, son attitude est à rechercher entre le meurtrier déjanté de Jack Nicholson et le névrosé d’Heath Ledger. Le scénario ne permet pas au personnage d’exister réellement en-dehors de sa relation avec Harley, et donc d’insuffler un peu de la profondeur que l’on aimerait explorer chez ce méchant iconique, mais quelques plans font mouche comme ses entretiens avec Harleen Quinzel ou la scène de la cuve ACE.
Suicide Script
Le meilleur ennemi de Batman n’est pas le seul de souffrir du scénario. C’est bien déçu que le spectateur recherchera la noirceur malsaine promise lors du trailer dévoilé au San Diego Comic-Con 2015 comme la folie destructrice et décalée promise en janvier par la bande-annonce rythmée par Bohemian Rapsody. Grand public (et frilosité après les critiques mitigées de BvS ?) oblige(nt), le film limite la violence atténuée de toute façon par des scènes de baston générale souvent filmées dans la confusion générale. Les vilains ont pour la plupart du mal à réellement passer pour de vrais méchants à « enfermé dans un trou jeté dans un trou » (avec une mention pour Killer Croc qui est en prison de son plein gré !) sans pour autant paraître réellement très attachants. Enfin, les sourires ne sont arrachés qu’à l’aide de quelques punchlines et l’une ou l’autre situation toutefois pas assez nombreuses ou recherchées pour faire basculer le film dans la satire. Au final, on se retrouve avec un film assez premier degré travesti par sa communication et trahi par son montage, ayant un peu le séant coincé entre deux sièges puisqu’il ne s’inscrit jamais vraiment dans une ambiance précise. La bande-son, composée de standards du rock indémodables comme de titres orientés rap plus récents, échoue souvent à instiller le côté pop recherché pour ressembler davantage à un blind test pour les nuls (ou à une mauvaise contrefaçon de Guardians of the Galaxy).
Ce problème de ton n’est pas la principale faiblesse de ce film qui réside dans une intrigue générale totalement aux fraises par rapport aux attentes d’un film Suicide Squad. On peut pardonner à une œuvre la légèreté de son intrigue lorsque son but n’est que de servir la caractérisation de ses personnages et les relations qu’ils nouent entre eux, ces deux points devenant le vrai cœur du métrage. Suicide Squad se vautre malheureusement lamentablement à ce petit jeu : les personnages n’apparaissent jamais comme de vrais psychopathes torturés pour la plupart, et les raisons pour lesquels ceux-ci décident de se lier « à la vie, à la mort » dans le dernier acte du film sont au mieux superficielles, si ce n’est inexistantes. Une mission digne de cette escouade de bad guys aurait pu sauver le film, mais c’est en fait avec ce point-là qu’il sombre réellement dans le médiocre. En lieu et place la mission top-secrète attendue à un niveau relativement humain, le spectateur se retrouve face à une menace digne de la Justice League ! Devenue incontrôlable avant même d’être envoyée sur le terrain, l’Enchanteresse fournit à la Task Force X leur première mission de laquelle dépend le sort de la Terre, de l’univers du reste. Devant une menace totalement disproportionnée – et hors de propos par rapport aux attentes d’une telle adaptation – les anti-héros ne pourront compte que sur le plus mauvais deus ex machina de l’année et d’une… bombe… pour arrêter un dieu, puis d’une… seconde bombe… pour fermer un portail dimensionnel ouvert par les déhanchements de l’Enchanteresse qui troque son look flippant plutôt réussi pour un costume digne de Gods of Egypt (qui n’aurait même pas réussi à être plus mauvais avec un final pareil). Devant tant de bêtises et de déception, l’esprit du spectateur ne doit sa survie qu’à l’interminable ralenti final qui lui permet de faire une sieste afin de récupérer assez de force pour supporter les quelques minutes restantes du naufrage. Tout est bien qui finit bien, le monde est sauvé et nos héros ont droit à une tape dans le dos bien méritée avant de retourner purger leurs peines de 9632 années moins quelques jours pour bons et loyaux services.
On pourrait penser que le réalisateur possédait un atout dans sa manche pour relever l’enthousiasme avec un Joker à sortir à tout moment pour pimenter le jeu. Belle déception de ce côté également ; ni ennemi, ni allié, ni même agent perturbateur du chaos, son rôle se limite finalement à celui d’un invité de marque pour la backstory d’Harley Quinn ! S’il n’est pas en flashback pour raconter les origines de la belle déjantée, il remue ciel et terre pour secourir sa moitié… et c’est à peu près tout…
Opération fan-service
Si le film aguiche les amateurs de l’univers DC au sens large avec les caméos de Batman, de Flash (une scène réalisé par Zack Snyder sur le plateau de Justice League) ou d’Aquaman (en photo), les amateurs de comics auront tout de même quelques clins d’œil et références à repérer. Espéré par les fans, l’accoutrement originel d’Harley Quinn apparaît rapidement lors d’un plan qui n’est pas sans rappeler une célèbre illustration d’Alex Ross. La transformation d’Harleen en Harley emprunte quant à elle davantage à sa version New52 où l’idée d’un plongeon dans la cuve de produits chimiques a été déjà amenée.
Si l’intrigue générale liée à l’Enchanteresse peut paraître déplorable, elle n’en trouve pas moins son origine dans les comics et renvoie à l’arc classique The Nightshade Odyssey s’étalant sur Suicide Squad #14 à #16. Enfin, si Slipknot ne fait que passer l’arme à gauche, sa mort n’est pas sans rappeler Suicide Squad # 9 où c’est également poussé par Captain Boomerang qu’il teste les limites des bombes implantées par Amanda Waller (mais s’y content de perdre un bras). On pourra encore reconnaître quelques personnages comme Dexter Tolliver, un membre du gouvernement opposé à la création de la Task Force X, ou Jonny Frost, l’homme du main du Joker apparu dans le graphic novel Joker, ou l’inévitable hommage au créateur de l’équipe* le scénariste John Ostrander présent ici dans le nom d’un immeuble.
Le Joker assume également pleinement les origines de papier du film par ses ressources qui paraissent inépuisables, capables de retrouver la piste d’Harley où qu’elle soit et de s’y rendre avec une armée d’hommes de main, ou sa capacité à tromper la mort sans y laisser une égratignure.
Sentence finale
Suicide Squad fait office d’un bon gros coup de fusil à pompe dans une flaque. Si le casting ne manque pas de gueules, que les costumes sont à la fois fidèles sans être ridicule, que la volonté de plaire aux fans et de s’inscrire dans l’univers partagé DC sont évidentes, le film se loupe aussi bien dans son ton faussement décalé et son intrigue qui enchaîne mauvaise direction sur mauvaise direction. Le spectateur qui espérait trouver une alternative aux productions plus « optimistes » de Marvel en sortira déçu, n’ayant ni son Douze salopards des super-héros promis initialement ni son « Deadpool de DC » teasé par la suite, donnant cette impression de rétropédalage constant pour quiconque aurait suivi l’avancée du projet depuis son annonce. La frustration, voilà le sentiment qui émanera de ce spectacle plein de potentiel qui n’aboutit jamais ses objectifs.
On préférera au film de David Ayer l’excellent épisode de Justice League Unlimited titré « Task Force X » ou encore le récent film animé Batman : Assaut sur Arkham qui offre une très bonne interprétation de la relation entre Harley et le Joker, ce dernier jouant ici réellement un rôle significatif dans l’histoire.
*Si John Ostrander a bien créé en 1987 dans Legends #3 la version la plus populaire de la Suicid Squad, il a en fait repris le nom d’une équipe éphémère menée par Rick flag Sr, fruit de l’imagination de Robert Kanigher et Ross Andru dans Star-Spangled War Stories #116.
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