She-Hulk (Miss Hulk si vous préférez la VF), ou Jennifer Walters de son vrai nom, est un personnage haut en couleur, et pas seulement dans les tons de vert, que tous les lecteurs de bon goût se doivent d’apprécier. Bien plus qu’un simple ersatz féminin d’un super-héros comme on en compte à la chaîne dans les comics, l’avocate boostée aux rayons gamma a réussi à s’imposer grâce aux efforts de John Byrne comme un personnage évoluant dans une ambiance délirante qui lui est propre en plus d’interférer à tour de rôle dans les sphères de Hulk, des Avengers ou encore des Fantastic Four quand elle n’est pas sollicitée par d’autres confrères en costume moulant pour les défendre devant une cours de justice. Lorsque Dan Slott lance une nouvelle série régulière She-Hulk en 2004 – soit dix ans après l’arrêt de la précédente à quelques mois près – c’est également sous l’optique d’un ton décalé et du second degré qu’il aborde ses aventures tout en les mariant à un amour profond de la continuité. Face à des ventes faibles malgré un plébiscite critique indéniable, la série est relancée sous le même nom après douze numéros, par ailleurs disponibles en France dans un unique Marvel Monster. Pour le nouveau volume c’est Greg Horn qui succède à Mike Mayhew au poste de cover artist principal, poste qu’il occupe jusqu’au vingt-et-unième numéro (excepté le #20).
S’il a beaucoup fait parler de lui cette année au sujet d’une couverture représentant Catwoman et Batman, Horn est à l’époque déjà un artiste qui divise aussi bien pour son usage de la peinture numérique qui n’est pas du goût de tout le monde (notamment pour certains cas de couleurs trop criardes) que pour son habitude de représenter des femmes dans des positions très suggestives. Comme son prédécesseur Greg Horn joue régulièrement la carte de l’humour sur ses couvertures tout en y ajoutant une touche de sexy. Pour She-Hulk (vol.2) #15 le dessinateur va y ajouter une bonne dose d’hommage en reprenant non pas une mais deux illustrations réalisées par le grand Jim Steranko alors qu’il officiait sur le personnage du colonel Nick Fury dans la deuxième moitié des années 60, d’abord dans les pages de Strange Tales (où l’espion borgne cohabite avec le Docteur Strange), commençant comme encreur de Jack Kirby en décembre 1966 dans Strange Tales #151 avant d’acquérir les fonctions de dessinateur principal combiné à celui de scénariste, des postes qu’il garde très brièvement sur la série mensuelle Nick Fury: Agent of S.H.I.E.L.D. qu’il lance en 1969. Cet hommage colle parfaitement au contenu de She-Hulk #15 puisque l’organisation à recruter Jennifer via son vieil ami Clay Quartermain (l’agent présent sur la couverture) dans le numéro précédent afin de l’envoyer s’occuper de la galerie des méchants de son cousin colérique, le titre subissant la double-influence du lendemain de Civil War qui voyait les héros devoir choisir entre s’enregistrer dans l’Initiative ou rejoindre le maquis et de l’exil de Hulk sur la planète Sakaar durant un long arc intitulé Planet Hulk.
Le costume et la position de She-Hulk sont directement inspirés non pas d’une couverture mais de la première page de l’épisode intitulé If Death Be My Destiny publié en mars 1968 dans Strange Tales (vol.1) #166. Steranko officie alors au scénario et au dessin, Joe Sinnott se chargeant de l’encrage. Si le passage de Steranko sur Nick Fury est généralement présenté comme révolutionnaire tant pour l’évolution du personnage que pour les innovations graphiques et scénaristiques dans le contexte de la publication des épisodes, il n’en garde pas moins l’habitude prise dès les épisodes de Stan Lee de présenter le héros dans une posture délicate dès la première page, qu’elle suive ou non l’intrigue précédente. Ici Fury semble en bien mauvaise posture dans une chute libre, à moins que l’étrange combinaison orange qu’il porte affublée de membranes sous les bras ne lui permette de planer tel un écureuil volant ! À côté de la voiture volante, du costume pare-balles en acier souple ou encore de la cravate explosive que l’on retrouve dans la panoplie du directeur du S.H.I.E.L.D. cette combinaison paraît presque réaliste, et pour cause, des tests pour développer ce type de matériel permettant à un homme de planer sont testés depuis 1935 par le parachutiste américain Clem Sohn (qui décède lors d’un saut en 1937…) et ses continuateurs qui furent bien souvent victimes de leurs expériences aériennes…
Même si cette combinaison qui joue approximativement avec les lois de la physique est finalement loin d’être l’invention la plus excentrique vue dans l’attirail du chef du S.H.I.E.L.D. qui compte quand même une voiture volante, costume trois pièces pare-balles fait d’acier ou encore une cravate explosive, Jim Steranko devait tout de même être loin de penser que trente ans plus tard ce concept prendra forme de manière concrète et efficace avec les wing suits mises au point par le français Patrick de Gayardon (cocorico !) durant les années 90. On a pu voir des espions/aventuriers utiliser ce type de combinaison au cinéma ou à la télévision depuis dans des œuvres mémorables comme Tomb Raider 2… ou bien le clip de Toxic de Britney Spears (qui est aussi un bon gros plagiat de la série Alias au passage) dont la combinaison semble inspirer celles portées par les héroïnes de Charlie’s Angel 2… Faut-il voir une quelconque influence directe de Jim Steranko dans toutes ces « œuvres » ô combien mémorables pour certaines d’entre elles ? On lui souhaite bien le contraire…[1] Pour l’anecdote, Jim Steranko a de nombreux liens avec le cinéma puisqu’il a entre autre conçu le look d’un certain Indiana Jones ou travaillé sur le Dracula de Francis Ford Coppola ; ces collaborations n’ont rien d’étonnantes quand on sait l’influence qu’a eu Steranko sur la manière de découper les planches des comics en s’inspirant du cinéma.
Intéressons-nous maintenant aux décors de la couverture de She-Hulk #14, qui contrairement à la page tirée de Strange Tales #166 ne nous montre pas le vide du ciel mais plusieurs personnages et éléments en noir et blanc, parfois mêlés à des motifs qu’on pourrait presque qualifier de psychédéliques. Ce background est en fait une reprise de la couverture de Nick Fury: Agent of S.H.I.E.L.D. #4., la plus mythique des illustrations imaginées par Jim Steranko pour le colonel en combinaison bleue. Très proche d’une affiche d’un film de James Bond (c’est bien sûr volontaire, Steranko n’a fait que renforcer les liens qui existaient avant même son arrivée entre les deux espions) mais révolutionnaire pour l’époque en ce qui concerne les comics, ce dessin apparaît avec le recul comme la quintessence du travail du dessinateur-scénariste sur l’univers de Nick Fury de par sa composition complexe et des éléments qui y figurent, tout il fleure bon l’esthétique de cette période avec ses spirales et ses damiers. Greg Horn va réutiliser certains de ces éléments en les redisposant différemment et les mêlant aux personnages qu’il dessine.
Inutile de se lancer dans une description précise de chaque détail, tout-le-monde peut voir que les damiers se retrouvent derrière la tête de l’Abomination ou que l’effet « en boule » est complétée avec un œil, mais on peut noter qu’un élément plus concret de la couverture de Steranko est repris avec la cible criblée d’impacts de balles sur laquelle une arme à feu est maintenant placée. Si cette image ne figure d’ordinaire pas au rang des œuvres de Greg Horn qui ont suscité l’indignation des lecteurs, les plus minutieux d’entre eux auront remarqué la présence de spirales sur la poitrine de l’agent Cheesecake (la femme en bas à droite, qui est un L.M.D. du S.H.I.E.L.D. au passage), rappelant pas mal des tétons… Blague de mauvais goût un peu beauf, voire même sexiste ? Subtile pied-de-nez de l’auteur à la censure et/ou à ses détracteurs ? Chacun pourra faire son opinion dessus, mais encore une fois Greg Horn divisera. Pour en revenir brièvement à l’effet des damiers « en boule », celui-ci n’était pas présent de base sur la couverture de Nick Fury: Agent of S.H.I.E.L.D. #4 mais est apparu sur la réutilisation de ce dessin pour un TPB où ces motifs remplacent l’inscription annonçant « S.H.I.E.L.D. Origin issue » ; étonnement, ce recueil reprend les aventures du colonel dans Strange Tales #150-168, mais pas l’épisode d’où est tiré l’illustration !
Si la composition générale de la couverture de She-Hulk #15 semble tout de même moins complexe que celle de Steranko elle n’en reste pas moins un bel hommage, reprenant même le concept du logo troué par balles. De quoi éviter à Greg Horn de finir condamner au mur des artistes fusillés ?
[1] Les avis cinématographiques et musicaux de l’auteur de l’article n’engagent que lui, mais il invite n’importe lequel de ses collaborateurs du site à venir lui exprimer une opinion contraire.
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