Un mois après le festival, retour sur les aventures de Jean-Lau à Angoulême. Après avoir pleinement profité des deux premiers jours, le week-end passé à cette 39ème édition du Festival International de la Bande Dessinée sera-t-il aussi intéressant ? Seconde partie de ce compte-rendu express (si, si !).
Samedi 28 janvier – 9h30
On le sait, le week-end du festival d’Angoulême est toujours plus plébiscité par le public que les premiers jours. C’est donc avec un moral d’acier que je continue de parcourir le festival, avec comme objectif principal de me faire plaisir sans pour autant courir partout.
En passant tôt à l’Hôtel de Ville (l’appel du café), j’apprends par les charmantes hôtesses de l’accueil presse que la conférence de 11h sur Chris Ware en sa présence est annulée, l’artiste étant absent pour des raisons privées sérieuses. Je me console comme je peux en faisant le tour des stands de l’espace Para-BD, et en admirant des œuvres originales hautement cotées et des produits dérivés tous plus farfelus les uns que les autres.
La mâtinée sera aussi pour moi l’occasion de me rendre sur le stand Panini dans la Bulle du Nouveau Monde, pour récupérer mes lectures mensuelles. J’en profite pour parcourir la très belle mini-expo consacrée à des portraits représentant les Avengers du film à venir, à travers une série de tableaux réalistes magnifiques signée Ryan Meinerding. Applaudissons l’équipe Panini qui aura su diversifier le côté décoratif de son stand, bien que les sempiternelles statues d’Iron Man et consorts étaient une fois de plus présentes durant le festival, faisant la joie des fans.
13h30
Je suis rejoint à la terrasse d’un café par Claire et Steve, qui viennent de débarquer à Angoulême, mais n’ont malheureusement pas le temps de s’arrêter. Tant pis, rendez-vous est pris pour se retrouver plus tard.
14h45
Je me fraie un passage à l’intérieur de l’espace Franquin pour assister à la rencontre Internationale avec Charles Burns. Celui-ci arrive sur scène, et commence à prendre une photo du public de la salle. Puis il nous lit plusieurs pages de sa dernière œuvre, X’ed Out (Toxic en français), pendant de longues minutes, dans un silence respectueux. On connaissait le côté original de l’artiste, mais on ne le savait pas farceur à ce point ! Après quelques minutes de lecture intense, la rencontre commence vraiment. Hillary Chute, que l’on retrouve ici pour interroger l’artiste, lui demande d’où lui vient cette passion avancée pour Tintin, fortement présente dans X’ed Out. « Quand j’étais enfant, je ne me mélangeais pas avec les autres gosses du quartier, et plutôt que de lire des comics américains, je préférais lire les aventures de Tintin. Je devais être un des seuls enfants américains à connaître Hergé et son héros. » Sa passion n’a d’ailleurs pas de limite. En hommage aux nombreuses versions pirates des aventures de Tintin dans divers pays du globe, Burns va jusqu’à créer de fausses versions piratées de X’ed Out dans des langues inventées de toutes pièces, qui furent éditées et sont maintenant de vraies pièces de collections.
La carrière de Charles Burns commence dans les années 70, lorsqu’il était encore à la Fac. Cette période de transition entre la fin du rêve hippie et le début du mouvement punk l’a fortement marqué et a imprégné son œuvre de façon intimiste, et ce encore aujourd’hui. L’artiste nous parle d’une autre des ses références à l’œuvre dans X’ed Out. « À l’époque, je lisais beaucoup William Burroughs, qui avait une vision très sombre de l’Amérique et du monde, et j’étais attiré par cela. » Le mouvement littéraire du Cut-up inventé par Burroughs consistait à découper des mots dans des textes d’origines diverses et de les réassortir ensemble, pour leur donner un sens nouveau. « La structure du récit dans X’ed Out donne cette impression de collage », explique Burns. « Burroughs faisait plus des collages au hasard, mon œuvre n’en est pas à ce point, mais c’est clairement une référence ».
Lorsque vient le tour des questions, je prends mon courage (et le micro) à deux mains pour interroger l’artiste américain. Ma question est assez hasardeuse mais qu’importe. « En France, à part Hergé, l’autre grand auteur de bandes dessinées franco-belges de l’époque était André Franquin, qui a aussi inspiré nombre d’artistes. Aimez-vous son œuvre, et pourrait-il vous inspirer pour un prochain travail, comme Hergé avec Tintin ? » L’homme me répond poliment. « À l’époque aux Etats-Unis, Franquin n’était malheureusement pas très connu. Il y a peut-être eu quelques tentatives de traduction de ses œuvres, mais elles sont restées peu nombreuses et sans succès. Je n’ai donc malheureusement pas eu l’occasion de lire ses bandes dessinées. » Et de préciser « Si j’ai une telle obsession pour Tintin, c’est parce que la première fois que je l’ai lu, c’était un cadeau de mon père qui était aussi un grand amateur de BD. Et comme à l’époque, je ne savais pas encore lire, je regardais les images et j’imaginais ma propre histoire. C’est cette réinterprétation personnelle des aventures de Tintin qui ressort aujourd’hui dans X’ed Out. »
Charles burns parle aussi bien évidemment de son livre culte Black Hole, et de sa participation à RAW. Les questions sont nombreuses pour cet artiste difficile à cerner, mais pas toujours pertinentes, comme lorsqu’on lui demande de raconter son rêve le plus étrange. Nous ne saurons donc pas ce qui hante les nuits de l’artiste, mais nous nous réjouirons d’apprendre que le second tome de X’ed Out devrait sortir cette année.
16h30
Je suis censé retrouver Kiwi-Kid de Cable’s Chronicles, Claire et Steve au conservatoire pour la conférence du jour sur la maison DC. Bien entendu, j’arrive avec un quart d’heure de retard, et dois me contenter d’un petit bout de moquette pour m’asseoir, la salle étant de nouveau pleine à craquer. Le conférencier, Alex Nikolavitch, commence par une blague sur Batman, puis explique que le chevalier noir est aujourd’hui encré dans l’inconscient collectif culturel mondial, tout comme Superman. « De nos jours, explique-t-il, l’ensemble des sorties annuelles de comics chez DC rapporte à la maison mère un revenu bien dérisoire par rapport au chiffre d’affaire d’un seul film de super-héros de la Warner. DC est donc aujourd’hui plus un laboratoire à idées qu’une machine rentable. »
Après ce premier constat un peu froid, l’auteur de Mythes et Super-Héros retrace les grands moments de la maison DC, en commençant par les prémisses du personnage de Superman dans une première histoire de Joe Shuster et Jerry Siegel dès 1934, avant sa vraie première apparition dans les pages d’Action Comics #1 en juin 1938. De l’arrivée de Batman à Final Crisis, sans oublier la naissance des groupes de super-héros, des mondes parallèles et les multiples crises qui bouleversèrent le multivers DC, Alex Nikolavitch n’oublie rien, pas même les personnages mineurs de la firme. Il s’attarde particulièrement sur l’arrivée d’Alan Moore chez l’éditeur et les grandes sagas qu’il y a écrites, comme son passage sur Swamp Thing ou Watchmen, son chef d’œuvre ultime pour beaucoup. Il parle aussi de l’écurie Wildstorm, rachetée en 1998 par DC, et en quoi Authority a imposé un nouveau standard dans le monde des comics de super-héros. Après avoir évoqué le renouveau de l’univers dans les pages des séries estampillées New 52, le maître de conférences dresse un rapide aperçu des différentes adaptations cinéma et télévisées de personnages DC, avant de parler de la publication cahotique des histoires DC en France, ou tout reste à faire pour populariser les héros DC les moins connus. Une tâche dont saura s’acquitter Urban Comics, nouveau détenteur de la licence DC en France ? Pour répondre à la question, et après avoir été applaudi par son auditoire, Alex Nikolavitch laisse la parole à François Hercouët, directeur éditorial de la firme, qui présente le « manifeste » d’Urban. Une intervention un peu forcée qui ressemble un peu trop à un coup de pub gratuit selon certains.
18h30
Je retourne rapidement au pavillon Para-BD pour tenter d’acheter une bande dessinée aperçue sur un stand dans la matinée, mais elle n’y est évidemment plus. Je repars déçu, quand j’aperçois au détour d’une allée le tintinophile Charles Burns qui est à la chasse aux pièces rares ! Ni une ni deux, mon sang ne fait qu’un tour. Je me dirige vers le stand voisin et consulte quelques albums de Gaston Lagaffe d’occasion. J’en achète un à la hâte et lui offre pour lui faire découvrir l’univers de Franquin. L’artiste me remercie, et par timidité, je ne cherche pas à poursuivre la discussion plus longtemps. Peut-être ais-je tort, mais je ne sens pas Burns très enclin à la discussion. Je quitte donc la bulle avec une pointe de tristesse, mais je pars vers le quartier des bars pour rejoindre Claire et Steve, en train de prendre une collation avec les équipes des sites de Cable’s Chronicles et Comics Blog. Autour de la table, on retrouve aussi Xavier Fournier, rédacteur en chef du magazine français Comic Box. La soirée se termine tranquilement, en refaisant le monde des comics, jusqu’au départ de chacun. J’accompagne pour ma part Xavier Fournier pendant quelques minutes encore, tout en abordant le sujet de l’avenir des comics DC en France. Une discussion très intéressante que nous n’aurons malheureusement pas le temps de finir, mais ce n’est que partie remise.
Dimanche 29 janvier – 11h00
La journée du dimanche, le festival est généralement plus calme en terme de conférences et autres rencontres, et les auteurs se font rares. Les plus patients pourront cependant se consoler en approchant les auteurs qui continuent leurs séances de dédicace. Pour ma part, après un petit détour pour assister à la projection du documentaire Les secrets d’Astérix, je cours à la conférence prévue avec l’éditeur de Chris Ware en France pour apprendre… qu’elle a été annulée sans que personne ne le signale. À défaut de l’artiste, Jean-Christophe Menu, ledit éditeur aurait pu faire acte de présence et présenter son travail en collaboration avec l’auteur pour publier les versions françaises de ses œuvres, mais non. Un total manque d’information de la part du festival, d’autant plus qu’à la même heure au Théâtre tout proche, un documentaire nommé Chris Ware, un art de la mémoire, était proposé et a apparemment fait salle comble. Dommage.
Je profite donc d’être au pavillon du Nouveau Monde – où sont réunis les stands des jeunes éditeurs et éditeurs indépendants – pour retrouver Alex Nikolavitch et l’interviewer sur sa conférence de la veille. Une interview que vous devriez bientôt retrouver sur Comixity lors d’un prochain podcast. Après l’interview, l’auteur aux multiples facettes me parle de son métier de traducteur, d’une manière si passionnée que je regrette de ne pas avoir laissé l’enregistrement tourner. Mais ce sera pour une autre fois, car devant mon intérêt clairement affiché pour ses propos, nous échangeons nos contacts pour en rediscuter à l’occasion.
14h00
Après un bon repas, je retourne à l’Hôtel de Ville proche pour digérer un cognac gentiment offert par la ville (Eh ! J’avais prévenu que le dimanche est toujours plus calme !). Je convie One Eye Pied, qui est coincé à un vrai déjeuner charentais chez des amis angoumoisins. Il me rejoint quelques temps plus tard pour prendre le café et un digestif. Vers 15h, nous décidons de nous diriger à nouveau vers la bulle du Nouveau Monde pour flâner, découvrir des éditeurs et des auteurs peu connus mais qui le mériteraient grandement. J’en profite ainsi pour acheter quelques livres bradés en cette fin de festival.
17h30
C’est justement au détour d’un stand, et un peu tard malheureusement, que je découvre les Editions Polystyrène, une petite maison d’édition angoumoisine au propos fort intéressant : faire lire la bande-dessinée autrement. Pour expliquer leur volonté de rendre le lecteur à la fois acteur dans la lecture et complice de l’auteur, ils me présentent trois livre. Le plus explicite est une BD en trente planches non reliées, dont l’ordre peut être alterné à l’infini, et qui donnera toujours un déroulement de l’histoire différent mais cohérent. Intrigué, je m’essaye au test et découvre que le concept fonctionne plutôt bien. Je demande alors plus de renseignements aux jeunes auteurs/éditeurs sur la création de leur société. Ce sont cinq jeunes passionnés de Bandes Dessinées qui ont monté une association pour proposer une approche différente du 9ème art au lecteur. Ils ont chacun un style assez différents, mais leur complémentarité fait aussi leur force. Parmi leurs auteurs phares, ils citent volontiers Scott McCloud, mais aussi Winsor McCay, Marc-Antoine Matthieu, Benoît Peeters et François Schuitten, et d’autres personnes qui ont œuvré à une nouvelle perception de la bande dessinée. Bref, nous discutons longuement, de ces discussions longues et intenses entre passionnés. Il est déjà l’heure de partir et je n’ai pas vu le temps passer. Mais malheureusement, toutes les bonnes choses ont une fin, et une fois de plus un festival riche en découvertes se termine. Cette dernière touche de fraîcheur sur le stand des éditions Polystyrène aura pour moi été le point d’orgue d’un festival presque parfait.
L’heure du bilan
Si j’avais dans un premier temps été sceptique sur la touche américaine apportée au festival français mondialement reconnu, force est de constater que les organisateurs ont mis le paquet pour nous présenter le neuvième art sous un angle nouveau. Avec un président de prestige et des auteurs de qualité indéniable, ce 39ème Festival International de la Bande-Dessinée d’Angoulême fut une incontestable réussite. Il est cependant regrettable que les comic-books, et surtout les comics de super-héros, restent un sujet encore trop mis à l’écart, à l’image des conférences excentrées, alors que leur implantation sur le marché de la librairie est une évidence et semble trouver un regain d’intérêt chez des lecteurs de plus en plus nombreux. Il suffit pour s’en rendre compte de considérer l’espace consacré à l’éditeur Panini, qui s’agrandit et se renouvelle chaque année, ou encore de voir les nombreuses maisons d’éditions ouvrant aujourd’hui leurs portes au monde des comic-books. Delcourt, Soleil, Glénat, Milady Graphics, mais aussi plus récemment Emmanuel Proust, Atlantic BD, Urban Comics et Ankama, toutes s’ouvrent peu à peu à la culture américaine pour attirer ces monstres de foire, ces geeks et leurs univers fantasques. À l’image des masques de Guy Fawkes repris symboliquement par Anonymous pour signifier leur omniprésence invisible, la culture comics est aujourd’hui un phénomène de société qui ne peut plus être ignorée ou évincée, une force qui aidera à façonner le monde de demain. Exelcior !
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