Parmi la première salve de sortie de nouveaux numéros uns chez DC la semaine dernière, il y avait des titres dont – avouons-le – on avait un peu rien à f… À priori, Batwing était de ceux-là. Après tout, un héros secondaire apparu il y a cinq mois dans les pages du Batman Inc #5 de Grant Morrison et Yannick Paquette et sans réel intérêt apparent, à quoi bon en faire une série régulière ? Afin de pouvoir me faire un avis personnel de chaque titre du DC New 52, j’ai tout de même essayé ce premier numéro. Bien m’en a pris : le titre est en effet une vraie bonne surprise.
Couverture : Ben Oliver et Brian Reber
Scénario : Judd Winick
Dessins : Ben Oliver
Couleurs : Brian Reber
L’Histoire :
À Tinasha, ville de la République Démocratique du Congo où la corruption est omniprésente, le jeune officier de police David Zavimbe tente de mettre un terme aux agissements de la pègre locale. Mais David en a assez de voir les enquêtes être classées avant même d’avoir été résolues. Dorénavant, il emploiera la manière forte pour obtenir des résultats. Désormais, il endossera le costume de Batwing…
Couverture :
Ouh là ! Ne vous arrêtez surtout pas à la couverture de ce premier numéro qui, excepté le style graphique du tandem Oliver/Reuber, ne vous donnera en rien le ton de l’histoire que vous trouverez à l’intérieur. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que DC met les pieds dans le plat concernant une couverture estampillée DC 52, et après la bourde Justice League, l’éditeur récidive ici avec un joli Hors Sujet. Pas d’hélicoptères donc dans cette histoire, ni de pyramides égyptiennes, ce qui aurait sûrement conféré à ce titre un côté « touristique » décevant. Au pire, cette couverture est donc une mauvaise introduction au personnage, au mieux, un teaser pour les futures histoires internationales du héros. Passons donc rapidement sur ce détail fâcheux.
Scénario :
Alors que Batwing et Batman arrêtent des gangsters aux environs de Tinasha, ces derniers les mettent sur une piste qui leur permet de découvrir un véritable charnier humain. Sous son identité civile de policier, David tente de lancer sa supérieure, Kia Okuru, sur la piste des assassins et de trouver des indices pour sa propre enquête. Aidé de Matu Ba, ancien soldat de la paix devenu son fidèle bras droit, Batwing découvre bientôt l’identité d’un ancien super-héros congolais qui pourrait connaître les bonnes réponses. Mais que ce soit en tant que policier ou justicier masqué, le jeune héros congolais est-il prêt à affronter la menace qui l’attend ?
Vous l’aurez compris, le pitch de la série Batwing, emprunte légèrement (et j’insiste bien sur le légèrement, hein !) quelques éléments à la mythologie du justicier de Gotham. Un vigilante chiroptère, une ville rongée jusqu’à l’os par la corruption, une inspectrice de police qui tente de faire régner la loi malgré tout, et un majordome en chemise à fleurs (euh…) sont autant d’éléments qui font irrémédiablement penser à Gotham City et à son chevalier noir. Cependant, si on connaît la chanson, la réécriture qui en est faite par Judd Winick à la partition est assez originale. Sans en avoir l’air, l’auteur situe subtilement l’action dans un lieu au contexte géo-socio-politique dense pour mieux se démarquer de la série dont il s’inspire. Là où Gotham évoque vaguement la ville de Chicago à l’époque de la prohibition et de la corruption, mais reste une ville fictive dans un pays relativement bien portant, Tinasha se réfère à la capitale d’un pays africain « en voie de développement » qui a souffert de nombreuses crises bien réelles et toujours d’actualité. Car il ne faut pas oublier que si le Congo-Kinshasa porte depuis 1960 le titre honorifique de république démocratique, le pays avait auparavant vécu les affres de la colonisation et a ensuite connu les ravages de la dictature et de guerres civiles aux millions de victimes. Aujourd’hui, bien qu’il soit l’un des pays les plus riches d’Afrique grâce à ses ressources terrestres, son niveau de vie est en réalité parmi les plus bas du monde, et les inégalités entre riches et pauvres y sont très marquées. Sans oublier une espérance de vie très faible, due entre autres aux différentes maladies graves, problèmes de malnutritions et violences diverses que connaît le pays.
Mon propos n’est pas de vous donner un cours d’histoire, mais de démontrer que l’endroit choisi par l’auteur n’est pas anodin, et permet d’apporter un nouveau regard sur les intrigues racontées. Et si, dans un pays aux problèmes graves, un vigilante se dressait contre les criminels profitant de la corruption des forces de l’ordre et de la politique de non intervention de l’ONU, pourrait-on soutenir ses actes ? Si certaines personnes prétendent que les comics sont – tout comme les romans de science-fiction – des histoires naïves sans aucun intérêt, la série ici à l’étude pourrait bien leur prouver le contraire. Sans être une bande dessinée politiquement engagée, Batwing permet d’évoquer des faits réels, éloignés de nous, mais qui ne doivent pas être oubliés pour autant. Winick ne s’y trompe d’ailleurs pas, et évoque dans certaines pages des massacres de population qui ne sont pas sans rappeler les tueries ethniques qui ont ravagé le continent africain encore récemment, et qui restent malheureusement un fléau mondial. En mêlant ces sujets réels à des intrigues super-héroïques classiques mais efficaces – comme l’évocation d’un ancien groupe de super-héros congolais aujourd’hui mystérieusement disparu, ou encore un chliffanger choc pour le héros – le scénariste pourrait bien donner à la franchise une identité propre et pérenne. Mais si le compositeur et chef d’orchestre a su renouveler un air connu en y apportant des nouveautés, que donne l’interprétation des musiciens au crayon et à la couleur ?
Concernant le style graphique du duo Ben Oliver au crayon et Brian Reber à la colorisation, les avis seront partagés entre ceux pour qui critiqueront l’aspect roman-photo passé sous Photoshop, et ceux pour qui le dessins semi réaliste et le travail porté sur les textures des divers matériaux feront de ce numéro une œuvre se rapprochant d’un graphic novel. Vous l’aurez compris, pour ma part c’est ce dernier avis qui prévaut, et les graphismes m’ont agréablement surpris dès la première page. Moi qui n’attendais vraiment rien de ce numéro, ses pages finement travaillées m’ont fait vivre une expérience visuelle plaisante en plus de lire une bonne histoire. Un peu comme si je regardais des planches d’Ariel Olivetti, mais qu’en plus, c’était beau ! Outre le travail apporté aux textures, les tons de couleurs choisis et les jeux d’ombre et de lumière permettent de réellement s’imprégner de l’ambiance, que ce soit le danger d’une nuit froide et hostile, ou bien la chaleur écrasante et mortelle d’un soleil de plomb.
Pour en revenir aux dessins, si les décors sont un chouïa en dessous du reste, posant parfois quelques problèmes de lignes de fuite, l’anatomie humaine, elle, est parfaitement maîtrisée. Il est appréciable de constater qu’en à peine quelques traits, Ben Oliver sait insuffler la vie à ses personnages et les faire évoluer dans un milieu dangereux, tout en nous faisant oublier qu’un marionnettiste les anime. Les angles choisis ainsi que les cadrages des cases sont souvent penchés, ce qui renforce l’impression de malaise quisava se dégage à la lecture. Enfin, il est rassurant de noter les changements positifs apportés au costume du héros – grâce à l’aide financière de Batman, il faut le concéder -, qui ressemble maintenant à une vraie armure, et non au costume de cosplay aperçu dans les pages de Batman Inc.
Avis :
Même si les avis seront certainement aussi catégoriques que diamétralement opposés sur ce premier numéro de Batwing, j’ai pour ma part passé un très bon moment à la lecture d’une histoire mêlant intrigue classique mais efficace et sujet de fond savamment instillé par Judd Winick, parfait dans le rôle de chef d’orchestre. On pourra de plus admirer le travail orchestré par Ben Oliver et Brian Reber, qui interprètent avec brio un classique des histoires de super-héros. Un buy certain donc pour ce titre des plus prometteurs.
Merci Jean-Lau,
Pour moi aussi ce fut une bonne surprise, autant graphiquement que scénaristiquement.
De plus, le cliffhanger final donne envie vraiment de lire la suite.
Un buy donc !! (Contrairement à OMAC et Men of War)
Je comprends ton point de vue, et je peux le partager sur certains points. C’est pas que je n’ai pas aimé Batwing, mais y’a un truc qui fait que ce n’est qu’un check it pour moi, et j’ai un peu de mal à mettre des mots dessus.
C’est un feeling en le lisant, est-ce à cause de la colorisation, est-ce parce que ça se passe en Afrique, je ne sais pas…
Mais l’histoire est bien trouvé, et j’ai été intrigué par l’équipe des premiers super-héros africains et ce qui pourrait se cacher derrière, c’est pourquoi je jetterai quand même un oeil au #2.
Moi aussi j’ai beaucoup aimé. Mais il ne faut s’attendre à quelque chose de la bat Family. L’esprit me fait plus penser à Punisher (l’esprit du comics, pas le héros).
L’histoire est prometteuse, les dessins collent à l’ambiance. Pour moi, pour pouvoir l’apprécier, il faut prendre cela comme une histoire à part et ne pas s’attendre à du Batman.
Je suis agréablement surpris de lire un unspoken sur Batwing. Je suis intrigué par cette série sans pour autant m’y être plongé. Tu arrives cependant à m’intéresser Jean Lau. Maintenant, je préfère d’avoir des échos sur la suite avant de me lancer.
Toujours est-il que le contexte africain me fait peur par rapport à une chose : que l’auteur nous sort des clichés d’un pays qu’il croit connaitre et ne fasse rien de vraiment réaliste sur le sujet. On peut par exemple voir ça pour les auteurs qui s’essaye de placer l’action d’un comics en France… des fois c’est un peu naze et raté.
Je connaitrais pas assez l’Afrique ou le Congo pour juger… mais bon, je me méfie tout de même de la « désinformation ».
En tout cas, nous remettre en place le contexte historique et géographique était bienvenue de ta part, ça permet d’écarter un peu les craintes aussi quand aux propos tenus dans la bd.