La rubrique Déjà vu ? abordera ce mois-ci un thème déjà vu par le passé : celui des couverture reprenant une affiche de films. Et l’on peut dire que l’exemple choisi à cet occasion a donné lieu à une filiation plutôt prolifique…
« Keyser Söze »
Si vous avez bon goût en matière de cinéma, ce nom à la sonorité étrange vous est sans aucun doute familier. Comment, toi là-bas au fond, ça ne te dit rien ?! Dans ce cas cours vite voir ce chef-d’œuvre qu’est The Usual Suspects ou bien… ou bien… ou bien tu ne pourras pas lire cet article, car je vais exprès mettre tout un tas de spoiler dedans ! Tu penses que je bluffe hein ? Ce serait pourtant bête de se faire gâcher un des film ayant porté aux nues le concept de twist final !…
Oui, bien sûr ce n’est ni le premier ni le seul à très bien utilisé le concept de la révélation finale qui remet tout en cause, qui donne une (agréable) sensation de s’être fait mener en bateau, mais cela en reste l’un des exemples les plus populaires du genre et souvent une des premières expériences cinématographiques de ce type pour les gens de ma génération (et celle d’avant surtout, en 1995 je n’avais que 7 ans, dur dur d’être l’un des plus jeunes du site).
Film culte pour de nombreux spectateurs (de bon goût), la critique n’y a pas été non plus hermétique avec une présentation hors-compétition à Cannes remarquée suivi de plusieurs nominations et récompenses dans les plus prestigieuses compétitions dont on retiendra l’Oscar du meilleur scénario original pour Christopher McQuarrie et l’Oscar du meilleur acteur dans un second rôle pour Kevin Spacey qui n’a pas cessé depuis de nous éblouir. Keyser Söze aura su marquer les esprits au point d’obtenir la 48ème place de la liste des cinquante meilleurs méchants de l’American Film Institute (pas mal pour un personnage qui s’incarne essentiellement par une légende urbaine dans les dialogues, hein ?). Classé 10ème meilleur film à suspense par la même institution en 2008, le long métrage aura su faire connaître du grand public le réalisateur Bryan Singer (vous le voyez le lien aux comics là ?).
Au-delà de la construction de l’intrigue et de ses personnages marquants, le film a aussi son petit impact visuel par son affiche qui a été reprise et parodiée de nombreuses fois. Celle-ci présente cinq personnages (les « usual suspects » du long métrage) alignés lors d’une séance d’identification, ou de « tapissage » comme on dit parfois dans le milieu policier, afin d’intriguer le spectateur qui se demande bien qui sont ces cinq « gueules » et quel lien peut bien les unir dans le crime. Le personnage de Kevin Spacey se démarque un peu des autres par sa posture qui témoigne un certain malaise provoqué chez lui par la situation, là où ses compagnons d’infortunes semblent plus détendus.
The House of Suspects
Les comic-books n’ont pas manqué de rendre hommage à cette affiche à travers des couvertures, la toute première étant celle de X-Force #54 (et non, pas exactement les X-Men si chers à Singer, mais presque quand même) réalisée par Adam Pollina et sorti en 1996, les membre de l’équipe en lieu en place des suspects du film. L’hommage à Usual Suspects ne s’arrête pas au visuel de l’emballage puisque l’intrigue élaborée par Jeph Loeb en reprend la construction avec les différents membres de l’équipe écoutés l’un après l’autre par des inspecteurs de police, dont leur alliée Charlotte Jones, afin d’expliquer leur présence sur la scène du meurtre du groupe de mutants connus sous le nom des Externals. Et puis surtout, il y a la mention « The Unusual Suspects » (« les suspects inhabituels » en bon français bien de chez nous) sur la couverture, on ne pourra pas crier au plagiat tant l’hommage est revendiqué ici.
Si Marvel ouvre le bal des reprises de l’affiche du film de Bryan Singer, la maison d’édition sera aussi parmi les plus productives sur ce sujet. La récidive a lieu onze plus tard avec la couverture de New Warriors (vol.4) #3 illustrée par Nic Klein. Encore une fois, on retrouve cinq personnages et reprise du titre du film avec l’inscription « The Unusual Heroes » (« les héros inhabituels »). Cette expression n’est pas simplement choisie pour appuyer l’hommage en renvoyant au statut particulier des membres de cette incarnation éphémère et pour le moins controversée des New Warriors. Formée après Civil War, l’équipe ne comptait qu’un seul New Warrior « classique » en la personne de Night Thrasher… qui était en fait Donyell Taylor, le demi-frère du Night Thrasher original et plus connu auparavant sous le pseudonyme de Bandit. Dans ce tite Donyell avait rassemblé autour de lui des jeunes mutants dépossédés de leurs pouvoirs suite à House of M allant de première et deuxième zone : Jubilee, Chamber, Beak, Angel Salvadore, Stacy-X, Wind Dancer (qui avait eu droit au VF à la triste traduction… d’Alizé… oui on reste dans la thématique du vent, mais quand même !) voire même un peu plus obscurs comme les rescapés de l’Omega Gang (le scénariste Kevin Grevioux a l’air d’avoir bien aimé Generation X et New X-Men) qui se retrouvaient dotés de nouveaux pouvoirs, costumes et pseudonyme. Malgré une idée originale et une bonne utilisation du contexte du Marvel Universe de l’époque (aaaaaah, l’Initiative !…), la sauce ne prend pas, sans doute plus par conservatisme des lecteurs qui n’adhère ni à une équipe totalement inédite de New Warriors ni à la nouvelle identité des plus connus de ces mutants, et les frais sont arrêtés au bout de 20 épisodes. Seul le premier arc a été publié à l’époque par Panini en France à travers Marvel Icons Hors-Série #13, la couverture du #3 étant (naturellement ?) choisie. Les couvertures de la série réalisées par Nic Klein sont globalement toutes réussies, et celle de New Warriors #3 aura eu assez d’impact pour moi pour y penser immédiatement lorsqu’on m’évoque cette série, ou même lorsque je vois l’image originale du film de Bryan Singer. On peut remarquer que le personnage de Sofia sur la droite est en décalage par rapport aux autres personnages, n’ayant pas de costume et affichant un air énervé, rappelant un peu la position en décalage de Kevin Spacey sur l’affiche.
La Maison des Idées ne s’arrêtent pas en si bon chemin puisque l’affiche d’Usual Suspects est reprise à nouveau en 2011 comme couverture alternative d’Uncanny X-Men #535, le dessinateur Humberto Ramos sélectionnant comme suspects auditionnés par la police… Thor, Loki et les Trois Guerriers ?! Marvel était à cette époque en plein promo du premier film consacré au héros asgardien, lançant dans les comics la campagne des variant cover « Thor goes Hollywood » qui n’ont jamais rien à voir de près ou de loin avec le contenu ; ne vous attendez donc pas à voir l’ombre du casque à cornes (qui n’ont jamais existé, sauf peut-être dans des rares cas d’habits rituels, dans la réalité, merci les opéras de Wagner pour cette image d’Épinal des pays où il fait plus froid que dans les Vosges – c’était la minute d’étalage culturel du professeur Confiture, merci au revoir) d’un Asgardien dans cette histoire. Cette variant cover est d’ailleurs peut-être la chose la plus intéressante à retenir de ce numéro, première partie d’un arc écrit par Kieron Gillen qui… Non, ne soyons pas maso, on ne peut pas rendre hommage à The Usual Suspects tout en s’attardant sur quoi que ce soit provenant de cet incroyable run, incroyable par sa capacité à vouloir sortir de nos mémoires à tous… Tout juste dira-t-on que le numéro est disponible en France dans le magasine X-Men (vol.2) #10 de chez Panini.
Si l’expression veut qu’il n’y a « jamais deux sans trois », Marvel a brisé cette règle très récemment, en mars dernier pour être précis, avec la couverture de Superior Foes of Spider-Man #8 sur laquelle le dessinateur In-Hyuk Lee fait figurer les cinq membres de la version loser des Sinister Six (avouez que leur problème de recrutement arrangeait bien pour cet hommage). Quoi de plus légitime qu’une série de super-criminels (fussent-ils aussi incompétents que ces cinq-là) pour reprendre cette affiche, n’est-ce pas ? Ne vous attendez par contre pas à les voir passer derrière les barreaux dans cet épisode, le seul coup de force de cette bande de malfrats masqués étant de ne s’être toujours fait ni coffrer par la police ni dessoudés par les autres super-criminels qu’ils se mettent à dos en masse depuis le lancement du titre. Pour lire cet épisode en français, direction Spider-Man (vol.4) #14 de chez Panini !
Suspects everywhere !
Si elle a le record de reprise de cette image, Marvel n’a pour autant le monopole sur le sujet qui a été traité par une très large part de la concurrence. Retour en arrière : en 1997, Simon Davis réalise la couverture de 2000 A.D. #1030 où il convoque cinq personnages issus de la série Sinister Dexter qu’il dessine dans les pages du magazine anthologique britannique. La série mettant en scène deux tueurs à gage (Finnigan « Finny » Sinister et Ramone « Ray » Dexter) côtoyant constamment des crapules en tout genre, l’hommage sonne plutôt juste pour le coup. Les deux antihéros sont sur la couverture, saurez-vous les retrouver ? Un petit indice : lisez les noms inscrits sous chaque personnage ! Ces épisodes, comme l’ensemble des aventures de Sinister et Dexter, n’ont semble-t-il pas donné lieu à une quelconque traduction française, merci de me corriger dans les commentaires si je me trompe. Le professeur Confiture aimerait bien intervenir à nouveau pour expliquer que le nom de la série renvoie à l’héraldique, où l’on nomme les deux côtés d’un blason dexter et sinister, d’après les termes latins signifiant respectivement « droit » et « gauche », mais nous ne nous attarderons pas davantage sur ces considérations vu le nombre de lignes qu’il vous reste à lire.
2005 est une année productive pour cet hommage puisque l’affiche est reprise deux fois. Tout d’abord chez Bongo Comics avec Simpsons Comics #108, où le dessinateur Jason Ho fait figurer Homer comme suspect entre le toujours malchanceux Gil, le criminel bien connu sous le nom du Serpent (ou du Crotale suivant l’humeur du traducteur), un ours avec un fez et un cambrioleur assez caricatural (masque et pull à rayures inclus). Si Hans Moleman semble être la personne accusant Homer sur la couverture, il n’en est pas de même pour l’histoire décrite dans ce numéro où c’est suite à une accusation de Monsieur Burns que le patriarche de la famille Simpson se retrouve en prison. Cet épisode est à ce jour inédit en France mais pourrait bien finir par paraître à moyen terme, les éditions Jungle qui détiennent la licence chez nous depuis 2008 ayant fait paraître le #101 dans le dernier album en date consacré à la plus célèbre famille de Springfield.
C’est ensuite chez DC que l’on retrouve un hommage, et quoi de plus logique que de voir la série policière Gotham Central s’y atteler ! On se retrouve ici avec le premier cas qui casse le code numéraire de l’image initiale puisque seuls trois personnages sont dépeints ici : Kid Flash, Cyborg et Wonder Girl. C’est Sean Phillips, collaborateur habitué des scénaristes du titre Ed Brubaker et Greg Rucka qui réalise la couverture de ce Gotham Central #34 sorti en 2005. Ici aussi il est bien question d’une enquête policière puisque ce n’est ni plus ni moins que le corps sans vie de Robin qui est retrouvé… à moins qu’il ne s’agisse d’un imitateur ? Qui dit affaire inhabituel, dit suspect inhabituels (les « unusual suspects » annoncés par la couverture… vous le voyez bien là le gimmick de répétition à outrance ?) comme les Teen Titans que Crispus Allen et ses coéquipiers vont interroger sur le meurtre apparent de leur leader. Antépénultième arc de la série, cette histoire a déjà été sortie en France par Panini en 2008 dans l’unique volume de Gotham Central sorti en Big Book et sera disponible égalementdans le quatrième et dernier tome de la réédition de Gotham Central par Urban Comics qui paraîtra vraisemblablement l’an prochain. Un must-read incontournable pour tous les fans de Batman, de polar ou tout simplement de comic-books !
Changement de décors – quoi que l’on reste dans le sombre – et d’univers avec le comic-book suivant, second épisode de la mini-série Spike: Asylum paru en 2006 chez IDW. Situé dans la suite officielle en bande-dessinée des séries TV Buffy contre les vampires et Angel, cette (més)aventure du vampire Spike voit ce chouchou des fans atterrir dans un centre de rééducation pour créatures surnaturelles avec la mission d’en faire sortie une jeune fille à moitié démon qui y a été enfermée contre son gré… s’il s’en sort entier, le personnel de l’établissement n’étant pas les seuls dangers guettant Spike qui a su se faire des ennemis du côtés des créatures de la nuit durant sa longue carrière d’enflure vampirique. Le bestiaire composant les ennemis de l’antihéros aux cheveux peroxydés apparaît autour de lui dans cette retranscription de l’affiche d’Usual Suspects réalisée par Franco Urru, qui se charge également de toute la partie graphique du récit toujours inédit à ce jour en France.
On retourne du côté du super-polar avec la couverture du second printing de Scam #1, premier numéro sur cinq d’une mini-série de 2012 que je ne connaissais pas jusqu’à écrire cet article. Écrite et dessinée par Joe Mulvey et publiée par ComixTribe, un site internet dont le but premier est d’aider des créateurs à lancer leurs projets, l’histoire se présente comme un mélange « entre X-Men et Ocean’s 11 » avec des braqueurs disposant de superpouvoirs préparant un gros coup à Las Vegas, la mini-série se payant le luxe de couper l’herbe sous le pied à Mark Millar et Francis Lenil Yu qui sortaient peu de temps après Supercrooks qui surfait sur un sujet similaire, allusion à Ocean’s Eleven dans la promo incluse. Quoi de plus logique pour une histoire de braquage qu’un petit hommage à Usual Suspects, n’est-ce pas ? Du coup on se retrouve à nouveau dans un cas où la « règle des cinq suspects » est brisée, l’équipe de braqueurs étant bien plus nombreuses que celle arrêtée par la police dans le film de Bryan Singer. Inédite en France à ce jour, la mini-série de Joe Mulvey n’est pas restée sans suite puisqu’un one-shot est sorti à l’occasion du dernier Free Comic Book Day ; écrit par Jason Ciaramella et toujours dessiné par Mulvey, Scam Crosswords #0 est centré sur le vilain Crosswords déjà présent dans la première histoire qui quitte Las Vegas pour l’Europe, un scénario encore une fois rappelle beaucoup celui de Supercrooks…
On change totalement de registre avec notre avant-dernière couverture (pour ceux qui ont tenu jusque-là) puisqu’il s’agit du huitième numéro de Fanboys vs Zombies, la délirante série imaginée par Sam Humphries et Jerry Gaylord qui voit le monde basculer vers l’horreur avec l’attaque de morts-vivants amateurs de chair fraiche… sur le Comic-Con de San Diego, prenant au dépourvu un groupe de personnages issus des « fanboys » que l’on peut rencontrer dans ce type d’événements ! Eddy Nunez réalise la variant cover reprenant les héros de la série à la façon d’Usual Suspects. Vu le nom et le ton de cette série les hommages aux cultures pop et geek sont légions, comme en témoigne la couverture choisie par Glénat pour le second tome sorti en VF contenant justement ce huitième épisode qui rappellera quelque chose aux fans d’une certaine série sur des morts en marche qui cartonne dans les rayons des librairies comme à la télévision…
Direction Image Comics pour notre dernière couverture tirée de Protectors Inc. #5, une création de l’infatigable J. Michael Straczynski assisté de Gordon Purcell aux dessins. Un cas à classer dans la catégorie des hommages qui sont plus que d’ordre purement esthétique puisque l’illustration présente cinq personnages considérés comme les suspects d’une enquête sur le meurtre d’un super-héros dans un monde où les super-vilains n’existent pas, amenant les héros de différentes corporations (d’où le titre) à s’affronter entre eux pour le plaisir du public. Protectors Inc. fait partie des titres lancés en 2013 chez Image sous le label ressuscité Joe’s Comics (installé initialement chez Top Cow de 1998 à 2005) avec le retour de séries comme The Book of Lost Souls et Dream Police ou des nouveautés telles que Ten Grand (déjà traduit par Delcourt) ou Sidekick (prévu en français en 2015 chez le même éditeur). Inédit en France pour l’instant, Protectors Inc. a tout de mêmes de grandes chances d’arriver chez nous un jour comme la plupart des œuvres signées JMS, le scénariste jouissant d’une solide réputation et fanbase à travers le monde qui font de la plupart de ses titres un succès (sans mentionner qu’en fait 90% de ce qu’il est écrit est vraiment bon, d’où les succès critiques et financiers).
Une impression suspecte de déjà-vu…
Les plus experts des fans de comics seront peut-être chiffonnés par une impression de déjà-vu (ça tombe bien me direz-vous, vu le nom de la rubrique…) qui survient même lorsque l’on ne regarde que l’affiche de The Usual Suspects, qui existe d’ailleurs sous plusieurs déclinaisons reprenant toujours le modèle des cinq hommes devant un mur (pas forcément dans un commissariat d’ailleurs), avec comme constante de toujours montrer le personnage de Kevin Spacey assez mal à l’aise, voire à l’écart des autres.
Le visuel du poster aurait été l’une des premières images du scénario venue à l’esprit du réalisateur alors qu’il cherchait une idée d’un film à tourner avec Kevin Spacey, l’acteur l’ayant approché lors d’une soirée car intéressé par ce jeune réalisateur dont on lui avait dit beaucoup de bien. Si vous suivez mes articles vous avez pu remarquer que la question des inspirations me turlupinent beaucoup, et encore fois la question s’impose à moi : le créateur a-t-il pu inventer ici quelque chose de 100% original, ou bien une image aperçue par le passé mais qu’il a oublié l’a-t-elle influencé inconsciemment ? La scène de l’identification de coupables parmi des suspects est évidemment un lieu commun incontournable des films policiers, mais il ne faut peut-être pas s’arrêter simplement à cette explication, puisque si l’on cherche bien dans les couvertures de comic-books, on peut remonter jusque dans les années 80 et trouver ce qui suit ci-dessous.
Love & Rockets est une série anthologique (en quelque sorte, je vous épargne ici les détails) qui, après une auto-édition du premier épisode en 1981, débute en 1982 chez Fantagraphics. Créée par les frères Jaime, Gilbert et Mario Hernandez (alias « Los Bros Hernandez », pas besoin d’avoir faire espagnol même en troisième langue au lycée pour comprendre), ce titre est un véritable cocktail exotique pour les lecteurs de l’époque (et même encore d’aujourd’hui) où les auteurs mélangent, entre autres, la culture latino-américaine, leur penchant pour la scène punk qui a alors littéralement déjà explosé ou encore les comic-books de science-fiction des années 50 et 60 ; devenue très vite un pilier de la bande dessinée américaine underground, Love & Rockets est encore publié de nos jours et reste une référence du genre (si on arrive à établir une quelconque catégorisation).
La couverture du premier numéro présente cinq femmes éclairées par un halo de lumière devant un mur strié qui peut rappeler les traits sur les murs servant à évaluer la taille des suspects, à moins qu’il ne faille y voir une allusion à une partition vu l’importance de la musique dans l’œuvre des frères Hernandez. Une tache de sang est présente sur le mur, ce qui renforce l’idée de crime, et donc d’identification de suspects. Les cinq femmes représentées sont assez singulièrement vêtues, avec à gauche (ce qui donnerait en héraldique ?… on voit ceux qui suivent !) une femme noire portant un accoutrement digne d’un super-dieu de Jack Kirby et une autre en costume de super-héroïne tout ce qu’il y a de plus classique, tandis que tout à droite on retrouve (de gauche à droite, ça va vous suivez toujours ?) une latino échappée d’une tribu aux allures punks d’un monde post-apocalyptique et une femme en robe de soirée assez singulière et au regard pénétrant. Seule au milieu, une femme tranche avec le reste par son aspect assez « ordinaire » avec sa robe de chambre et ses bigoudis, mais aussi par sa position puisqu’elle est le seul personnage de la couverture qui est représentée de profil. Lorsque les Humanoïdes Associés sortent Love & Rockets en France sous le titre de Pain, Amour et Fusées, ils choisissent tout naturellement cette illustration pour la couverture.
En surinterprétant peut-être un poil, la femme en position centrale apparaît un peu comme le Kevin Spacey de cette illustration avec le certain malaise qu’elle semble avoir à poser aux côtés de ses sculpturales voisines qui tranches avec elle tant par leur taille, leur look, et l’assurance qui semble émaner d’elle. Y a-t-il des chances que Bryan Singer ait pu être inspiré de près ou de loin par cette couverture ? Si l’on ne peut indubitablement affirmé aucune hypothèse, la ressemblance peut toutefois être belle et bien accidentelle lorsque l’on sait qu’avant de se pencher sur l’élaboration du premier film X-Men, Bryan Singer ne s’était jamais intéressé aux comic-books, fait assez ironique tant par l’importance de ses films dans le lancement de cette mode qui sévit maintenant à Hollywood autour des héros en spandex que par son retour aux allures messianiques sur la franchise mutante après les malheureux incidents X-Men 3 et X-Men Origins: Wolverine (non, nous ne tirerons pas sur les ambulances ici).
Les frères Hernandez ont dû beaucoup aimer la couverture de leur premier numéro puisqu’elle a été pastichée par leurs soins, ou plus précisément par les coups de crayon de Jaime, pour illustrer le premier recueil de la série sorti en 1985. Ici la personne en retrait par rapport aux autres est ironiquement la seule qui semble à l’aise, se démarquant des autres femmes au visage plus sérieux et aux habits de couleurs moins criardes. Il est intéressant de noter qu’aussi reconnaissables et singulières que sont ces deux couvertures, elles reprennent un gimmick bien connu et relativement ancien déjà alors dans les comic-books qui consistent à représenter le héros devant un mur et l’éclairé par un halo de lumière, comme si un projecteur était braqué sur eux ; il faut remonter jusqu’à Batman #9 sorti en 1942 (d’après l’antidate donnée sur le numéro, donc possiblement sorti en fait en 1941) pour voir le dessinateur Jack Burnley utilisé pour la première fois cette représentation mainte et mainte fois reprise depuis, la variante la plus connue (et la plus reprise) étant indubitablement la couverture d’Uncanny X-Men #141 signée John Byrne qu’on ne présente plus. La couverture de Love & Rockets #1 aura également su inspirer de nombreux dessinateurs qui l’ont reprise, généralement pour des publications elles aussi relevant des comic-books underground, assez nombreuses pour constituer un numéro de Déjà vu ? rien que pour elles.
L’inspiration est peut-être aussi à chercher du côté des goûts musicaux de la fratrie Hernandez, et plus précisément dans la mouvance punk de laquelle ils réclament une grande partie de l’esprit qui habite leurs œuvres. En effet, comment ne pas penser à une photo d’un groupe de rock à la vue de la couverture de Love & Rockets #1 car tout y est : le look extravagant, l’attitude parfois provocatrice, le rapprochement assez serré entre les personnages… Si l’on se réfère au mouvement punk, cette image d’un petit groupe dos au mur ne peut qu’évoquer la mythique pochette du premier album éponyme des Ramones sortie en 1976 qui impose un modèle repris par un nombre incalculable de groupes depuis, dont ses initiateurs eux-mêmes pour plusieurs de leurs albums suivants.
On ne pourrait pas terminer cet article sans mentionner un outsider incarné par DP7 #1. En 1986 Marvel lance le label New Universe dont les séries constituent une toute nouvelle continuité avec ses propres codes totalement distincte de l’univers traditionnel que les lecteurs connaissent. Les sept membres constituant l’équipe de DP7 (pour Displaced Paranormals 7) sont représentés par Paul Ryan sur la couverture de leur premier numéro devant un mut d’identification de la police. La façon dont le mur est dessiné et dont les personnages sont disposés sont très éloignés aussi bien de Love & Rockets que de The Usual Suspects, mais cette couverture témoigne que les dessinateurs n’ont pas attendu de parodier l’affiche du film de Bryan Singer pour présenter de la sorte les protagonistes de leurs récits. Pour l’anecdote, Paul Ryan semble avoir repris en partie la couverture de DP7 #1 lorsqu’il dessine celle du #32, épisode final de ce titre qui est resté inédit en langue française jusqu’à ce jour.
Faut-il voir une influence de Love & Rockets ou DP7 dans certaines des couvertures sélectionnés dans cet article ? Peut-être, même si cela ne semble pas transparaître de prime abord. Toujours est-il que cette représentation devant le mur d’identification de la police se retrouve aussi ailleurs que dans les comics, comme dans cette illustration promotionnelle de l’excellent animé japonais Cowboy Bebop. Et s’il n’y a aucun lien direct avec notre sujet d’aujourd’hui ce n’est pas bien grave, cela m’aura au moins permis d’évoquer cette excellente œuvre à découvrir de toute urgence même si l’animation du pays du soleil levant ne vous attire pas.
Il est temps maintenant de nous quitter (« enfin ! » diront certains) et vous constaterez que finalement je n’ai absolument pas truffé cet article de spoilers sur The Usual Suspects, je me serai senti trop mal d’en révéler les points importants à qui n’a pas vu le film et j’espère qu’ils auront maintenant de le découvrir. Et si vous ne le faites pas, ne vous étonnez pas que Keyser Söze réserve à votre maison le sort qu’il a administré à la sienne.
Rendez-vous dans un mois pour un nouveau Déjà vu ? dont la thématique sera accordé à la période à laquelle il sortira, sans qu’il ne soit question de couvertures dédiées à noël pour autant ! Et si vous ne savez pas quoi faire d’ici là, faites comme moi et allez (ré)écouter le premier album des Ramones !
Brillant ! Tu n’avais peut être que 5 ans au moment de la sortie du film, mais lire un article si cultivé dun jeunot est un vrai regal. Tout y est :rigueur, minutie, pédagogie ! Bravo. Qui aurait pensé a entamer un article sur cette thématique ?
Etant allergique à Batman ( long story), je navais jamais fait le rapprochement de DOFP avec Batman.
Merci
Merci beaucoup pour tes remarques et éloges, je n’en mérite pas tant ! J’étais un jeunot à l’époque de la sortie du film, mais je commence quand même à être plus proche de la fin de ma vingtaine que de son début, il est temps de rentabiliser un peu des années d’heures perdues sur internet dans l’écriture. 😉
Pour le rapprochement entre Batman #9 et DOFP je marche un peu sur des oeufs en proposant cette idée qui me trottait dans la tête depuis un moment, et si ça se trouve la couverture de Batman reprenait peut-être un type d’illustration avec le projecteur braqué sur les personnages qui existait déjà avant.
D’une manière générale je suis un peu frustré par l’article car j’ai dû écrire la fin (en gros à partir de mes envolées lyriques sur Love & Rockets) le matin-même de sa publication, faute de temps avant (d’ailleurs dès que j’ai un peu de temps libre je file sur ton blog pour commenter quelques trucs !), du coup je n’ai pas pu approfondir ou vérifier certains points de l’articles comme je l’aurais aimé (et j’ai dû louper pas mal de fautes à la relecture, j’en referai une dès que j’ai le temps). J’ai aussi dû laissé tomber quelques trucs comme mettre quelques exemples allant dans le sens de l’influence de Batman #9, mais je m’éloignais aussi un peu trop du sujet d’origine.
Bla bla bla ton article est très bon