Derrière son titre pompeux, Le Cycle de Thrawn est l’adaptation en comics d’une des plus grandes sagas en romans de l’univers Star Wars, connue sous le nom français de La Croisade Noire du Jedi Fou, qui est considérée par beaucoup de fans comme la saga fondatrice de l’Univers Étendu Star Wars.
Sorte de suite officielle aux épisodes IV, V et VI, cette nouvelle trilogie écrite par le prolifique Timothy Zahn est divisée en trois romans : L’héritier de l’Empire (1991), La bataille des Jedi (1992) et L’ultime commandement (1993). Ces romans ont ensuite été adaptés en comic-book par Dark Horse en trois mini-séries de six épisodes chacune, parues respectivement en 1995, 1997 et 1998. C’est la récente publication française de cette intégrale chez Delcourt qui est l’objet de notre attention aujourd’hui. Derrière une édition à vocation de coffret collector, Delcourt nous propose-t-il un objet vraiment inédit, et surtout, immanquable ? Petit retour sur une trilogie dessinée qui a bien eu du mal à voir le jour…
Un nouvel espoir du retour de l’édition contre attaque…
Dark Horse France publia la version dessinée de L’Héritier de l’Empire en trois albums en 1997 puis dans une intégrale en 1998, et La bataille des Jedi en 1998, également en trois albums. Seul L’ultime commandement resta inédit chez la branche française de l’éditeur américain.
Il fallut attendre la fin des années 1990 et le rachat de la licence Star Wars par Delcourt pour découvrir le troisième volet de cette trilogie, encore inédit en France, sous la forme de deux volumes en 1999. S’ensuivirent des rééditions des deux premiers volets de la trilogie imaginée par Zahn, aussi en deux albums pour le premier tome (2001/2002, rééditions en 2005), alors que le second volet connut étrangement une édition complète de ses six numéros en un seul volume en 2005. Enfin, la ressortie de L’ultime commandement la même année acheva cette vague de rééditions.
Si la saga complète pouvait enfin être lisible d’une traite et dans une même collection, sa parution fut pour le moins chaotique et il fallait débourser à l’époque pas moins de 62,5€ pour lire l’ensemble de la trilogie ! Heureusement aux États-Unis, Dark Horse eut la bonne idée de rassembler les trois volets dans une intégrale classieuse fin 2009 et c’est en toute logique que Delcourt présente aujourd’hui la version française de cette relique dans une édition dont le prix est très attractif : 34,95€ pour l’intégrale du Cycle de Thrawn !
Si cette édition française a l’avantage de nous proposer la saga au grand complet, que vaut réellement son contenu ? Il faut bien avouer hélas que derrière l’objet de collection, cet ouvrage sobrement intitulé Le Cycle de Thrawn est assez inégal dans son contenu.
Scénario : Du point de vue du scénario dans son ensemble, il y a peu à dire en vérité. Cinq ans après la bataille d’Endor et la mort de l’Empereur, l’Empire diminué mais réunifié tenter de reconquérir les planètes libérées par l’Alliance. Mais si la nouvelle République semble avoir l’avantage, des guerres de pouvoir intestines la fragilise, et la légende d’une ancienne flotte perdue dans l’espace pourrait bien assurer la victoire à qui mettra le premier la main dessus. Le ralliement du clan des contrebandiers et la connaissance des précieuses informations qu’ils détiennent seraient aussi un puissant atout pour chacun des deux camps. Mais rien ni personne n’est jamais vraiment ce qu’il paraît dans cette galaxie très, très lointaine…
L’histoire est donc bonne, du Star Wars comme on l’aime, avec des enjeux politiques, des batailles spatiales, des alliances surprenantes ainsi que des trahisons, un soupçon d’intrigue amoureuse et un minimum d’action. La seule critique notable serait peut-être d’avoir affaire à une adaptation trop rigoureuse des romans, car on sent parfois au fil des pages que l’histoire s’embourbe dans des négociations politiques et des déplacements spatiaux longuets, pour en revenir souvent au status quo d’origine. Le tout manque aussi de quelques duels au sabre laser dans une histoire qui aurait eu des occasions d’en proposer plus. Ceci dit, la volonté était ici clairement de respecter l’œuvre de l’écrivain et d’en proposer une adaptation fidèle. Comment alors montrer un duel au sabre laser quand Luke Skywalker est censé être le dernier Jedi en vie connu ?
Côté galerie de personnages, on retrouve avec plaisir nos héros préférés de l’épopée Star Wars, avec en tête le trio Luke Skywalker, Leia Organa et Han Solo. Cinq ans ont donc passé pour les protagonistes et leur vie a bien évolué elle aussi. Han et Leia se sont mariés et attendent maintenant des jumeaux qui seront bientôt l’objet de toutes les convoitises. On retrouve aussi leurs compagnons de route Chewbacca, les indéfectibles droïdes C3-PO et R2D2, mais aussi des personnages secondaires qui permettent à l’histoire de s’ancrer de manière plus crédible dans l’univers Star Wars. Au fil des pages, on verra ainsi passer Lando Caldrissian et Wedge Antilles pour les plus connus, mais encore Mon Mothma et l’amiral Ackbar pour ne citer qu’eux.
Enfin, le véritable atout de cette trilogie reste sans conteste les personnages inventés par Timothy Zahn pour sa saga et qui sont pour certains destinés à devenir des rôles réguliers dans l’Univers Étendu. Comment ne pas parler ainsi de Talon Karrde, chef des contrebandiers rusé et fin négociateur, Garm Bel Iblis, sénateur Corellian et stratège militaire hors pair, Borsk Fey’lya, le politicien ambitieux mais ambigu, et la race des Noghri, un peuple dont la dette qui les lie à l’Empire reste pour le moins confuse ? Tous sont des personnages hauts en couleurs qu’on aimerait découvrir plus en détail si on en avait l’occasion.
Mais les deux personnages les plus marquants inventés par Zahn sont sans conteste Mara Jade, pulpeuse rousse fatale et ancienne Main Secrète de l’Empereur Palpatine, qui voue une haine féroce à Luke Skywalker mais qui se verra obligée de l’aider contre son gré ; et surtout l’Amiral Thrawn, réunificateur de la Flotte Impériale et vilain qu’on adore détester, tant il est froid et calculateur, mais intelligent et digne. Son charisme naturel en fait un antagoniste tellement important qu’il donnera même, à tort ou à raison, son nom à l’adaptation dessinée de l’œuvre de Zahn, alors que le cycle de romans mettait un autre personnage à l’honneur.
En effet, si Joruus C’baoth est le dernier personnage important tiré de la saga La croisade noire du Jedi fou, le personnage a ici perdu beaucoup de son « charme » et n’est plus que l’ombre de lui-même. Si l’Amiral Thrawn est à la hauteur d’un Dark Vador, C’baoth paraît un bien piètre jedi noir en comparaison à Palpatine et semble totalement superflu au bon déroulement de l’intrigue principale. Un rapport de force qui change cependant à la toute fin de l’intégrale, puisque le guerrier obscur se révèle un adversaire de terrain coriace, réservant une surprise de taille aux héros, alors que Thrawn termine la saga sans réel moment de bravoure notable. Ces deux personnages, bien que fidèles à leurs doubles de papier, sont donc ici en deçà de leur double des romans. Le problème n’est pas tant dans leurs caractéristiques que dans leur psychologie, qui n’est pas assez fouillé dans la bande dessinée. Dès lors, la seule faiblesse du scénario ne serait-elle pas dans l’adaptation elle-même ?
Oui, Le Cycle de Thrawn reprend fidèlement le scénario de la trilogie de livres. Et Oui, Mike Baron ici crédité au scénario « d’après les romans de Timothy Zahn », s’est occupé de l’ensemble de l’adaptation en comics, ce qui facilite la cohérence du tout. Mais derrière ces avantages indéniables, le comic-book est-il à la hauteur qualitative des romans ? Force est de constater que si Baron est un créateur de talent, connu notamment pour Badger et Nexus, et ayant reçu un Eisner Award en 1993, il en reste comme beaucoup, un adaptateur d’œuvre limité par des contraintes évidentes de fidélité à l’œuvre matricielle. Et si les livres d’origine de Zahn relèvent du quasi chef d’œuvre, leur adaptation dans un format de six fois vingt-deux pages est une expérimentation hasardeuse qui ne s’est pas faite sans dommages.
Ici, chacun des trois grands chapitres composant l’intégrale proposée par Delcourt reprend (chrono)logiquement un des trois romans de Timothy Zahn. Dans les livres, le suspens montait crescendo pour trouver son apothéose dans un final digne d’une tragédie shakespearienne. Complots politiques, stratégies militaires, scènes d’action aux conséquences incertaines et sentiments contradictoires s’entrecroisaient au fil des nombreuses pages que composait chaque œuvre, pour tisser une intrigue dense et délicieusement interminable.
Mais comment condenser une saga d’environ 1150 pages en une bande dessinée de 430 ? Comment retranscrire les paragraphes de descriptions, de dialogues et de pensées de plusieurs chapitres en quelques cases et encore moins de bulles ? La réponse est malheureusement simple : en coupant dans le vif. Ainsi, si le déroulement de l’intrigue est respecté, l’ambiance de certaines scènes, les discussions entre personnages et les monologues intérieurs sont limités au strict minimum, empêchant parfois la bonne compréhension d’un évènement ou l’importance d’une scène primordiale, là où l’œuvre originale marquait un grand coup. Un peu comme si la musique d’ambiance manquait dans un film à suspens. On passe donc à côté de réelles surprises et une lecture du roman se révèle alors indispensable pour comprendre les agissements et la psychologie de certains personnages, tout comme les conséquences implicites de leurs actes. Les dessins, aussi beaux qu’ils soient, aident alors à peine à comprendre l’importance de ces scènes.
Dessins : S’il est bien un argument justifiant l’adaptation d’un roman en bande dessinée, c’est bien de mettre en images le propos de l’auteur, de permettre de visualiser des mondes imaginaires, de donner un visage à des héros aux faciès incertains. Pourtant, cet argument d’illustration peut vite être réfuté par la frustration qu’il apporte au lecteur de lui imposer une vision qui correspond rarement à l’impression personnelle qu’il s’était déjà faite. Ici, la tâche est plus facile, la majorité des décors, des vaisseaux et des personnages ayant précédemment été vus par le biais des films. Han Solo ayant déjà le visage de Harrison Ford, il est plus facile d’en accepter une version dessinée. Pour les nouveaux personnages, le risque existe toujours, mais une représentation ponctuelle n’est jamais que personnelle et peut changer avec chaque dessinateur.
C’est d’ailleurs ce qui se passe ici, puisque chaque chapitre possède une équipe de dessinateurs attitrés. Ainsi, pour L’héritier de l’Empire, ce sont les français Olivier Vatine et Fred Blanchard qui ouvrent la marche. Vatine est surtout connu pour avoir assuré les graphismes des premiers tomes de la bande dessinée culte Aquablue et a aussi participé depuis à la bande dessinée Cixi de Troy. Fred Blanchard a collaboré à de nombreuses bandes dessinées dont Carmen McCallum et fait partie de l’équipe créative de la série uchronique Jour J. Ils étaient assistés de Vincent Ruedo pour ce premier chapitre du Cycle de Thrawn.
Cette première mini-série est assez agréable à l’œil. On reconnaît bien le style que Vatine avait déjà développé sur Aquablue, avec des personnages aux traits cartoony et aux grands yeux, le tout dans un style assez nerveux, le faisant se rapprocher d’un Chris Bachalo dans ses bons jours. La patte de Blanchard semble elle plus présente sur les décors et les vaisseaux. Leur collaboration rend ce premier chapitre assez dynamique, et le côté moins réaliste des dessins permet de mieux s’immerger dans une histoire au contenu dense et aux ramifications nombreuses.
Le deuxième chapitre est lui illustré par Terry Dodson et Kevin Nowlan. Le premier est connu pour ses séries mainstream, récemment vu chez Marvel sur des titres comme X-Men ou le nouveau Defenders, mais il donne le meilleur de son talent sur son propre creator-own Songes. Le moins que l’on puisse dire est qu’il a une propension naturelle à mettre les femmes en valeur, et en ce qui nous concerne, ce n’est que rendre justice au personnage de Mara Jade. Kevin Nowlan est quant à lui un artiste complet, à la fois dessinateur, encreur, cover artist, lettreur, etc. Il a commis ses bienfaits sur des centaines de titres, que ce soit sur Azrael ou Hellboy en passant par les Nouveaux Mutants. La collaboration des deux fonctionne à merveille et donne au second chapitre un côté plus réaliste. Mais si cela n’en est que plus appréciable graphiquement parlant, on a aussi tendance à sortir plus de l’intrigue, du fait de la beauté des dessins, et on décroche parfois du récit.
Enfin, le troisième et dernier chapitre est dessiné par un nouveau binôme de dessinateurs, à savoir Edvin Biukovic et Eric Shanower. Biukovic, artiste croate nous ayant quitté trop tôt en 1999 après seulement 12 ans de carrière, est connu pour avoir travaillé sur Grendel Tales et les premiers numéros du Human Target de Peter Milligan. Shanower est entre autres choses un passionné du pays d’Oz, et a écrit et dessiné
moults romans graphiques sur le sujet, dont un des derniers en date, The Wonderful Wizard of Oz, devrait paraître en France chez Panini Comics en novembre prochain. Que dire de leur collaboration ? Qu’elle n’est en rien comparable aux deux autres chapitres de la trilogie ? Certes. Chaque chapitre a donc son identité graphique propre, ce qui est plutôt un point positif sur un recueil de 400 pages. Cependant, les premières pages de cette dernière partie semblent un peu en deçà de la qualité générale du reste de l’ouvrage. Un peu plus proche du style franco-belge du premier chapitre, le trait des deux artistes a un peu de mal à convaincre après les dessins et l’encrage magnifiques de la seconde partie. Étrangement, ce sentiment de travail moyen dans son ensemble disparaît environ à la moitié du chapitre. Les dessins sont plus assurés, l’encrage meilleur et la couleur plus nette. Ce qui peut laisser penser que le vrai problème n’est pas une question de qualité du dessin, mais de la copie utilisée pour imprimer cette intégrale. Il se pourrait que certaines planches aient été scannées à partir de copies de mauvaise qualité, ce qui impacte malheureusement sur le rendu final des pages proposées ici. Pour finir sur une note positive, le reste du chapitre est de très bonne facture et clôture bien un récit plein d’action avec une conclusion en apothéose bien qu’un peu rapide.
Un mot pour finir sur l’édition de Star Wars Le Cycle de Thrawn Intégrale proposée par Delcourt en elle-même. Si le format et le support restent basiquement les mêmes que l’édition originale, l’édition française propose tout de même quelques différences, avec notamment une couverture reprenant la même image que l’édition intégrale Dark Horse France de L’Héritier de l’Empire. La première et la quatrième de couverture du recueil sont à la fois sobres et classieuses. Pas de titre pompeux qui prendrait un tiers de la page, mais une typographie contenue thémée qui fait de l’imposant volume un bel objet de collection à placer en évidence dans sa bibliothèque. Pour les plus discrets, la tranche de l’ouvrage est elle aussi d’une beauté tout en retenue, avec un petit titre Star Wars surmonté du logo de l’Alliance tous deux dorés en haut de la tranche, au milieu le titre de l’intégrale et en bas, le classique logo Delcourt. Le tout sur un fond étoilé simple mais efficace. Les pages intérieures sont imprimées sur papier glacé mat, agréable au toucher. Niveau contenu additionnel, il est malheureux de constater que Delcourt s’est contenté du minimum. Outre le traditionnel récapitulatif des bandes dessinées Star Wars parus chez Delcourt accompagné d’une frise chronologique toujours utile à ceux qui voudraient approfondir leurs connaissances de l’Univers Étendu en BD, le seul bonus proposé par l’éditeur français est une série de couvertures réalisées par Olivier Vatine et Matthieu Lauffray pour les deux premiers chapitres de la trilogie, le troisième étant étrangement absent. Un peu dommage quand on sait que l’édition originale proposait en plus une biographie des auteurs, pour le moins. Peut-être que le manque de matériel explique la légèreté de la version française, mais ne boudons pas notre plaisir pour autant, L’intégrale Star Wars Le Cycle de Thrawn proposée par Delcourt reste tout de même un bel objet dans son ensemble.
Avis : Après avoir si longuement monologué sur cette édition ultime (du moins, tant que Georges Lucas n’y met pas son grain de sel…) du Cycle de Thrawn, vous comprendrez aisément que ma note finale ne peut être qu’un Buy absolu. Pour les fans d’abord, cet ouvrage est un monument, un bijou à posséder absolument et à placer sous vitrine. Ceux qui auront lu les romans seront peut-être un peu déçus de ne pas retrouver la ferveur que leur avait procuré la lecture des livres, mais pourront se consoler en se disant qu’à défaut de films, la bande dessinée est un bon moyen de voir la suite des films en images, avec les têtes familières des acteurs de la trilogie originale. Pour les amateurs de Star Wars et les novices qui voudraient connaître la suite des aventures de Luke Skywalker et de ses compagnons, l’achat d’un tel objet se justifie par le seul prix de l’intégrale, qui reste une très bonne affaire pour un si grand nombre de pages. La qualité de l’histoire et les dessins variés mais toujours de bonne qualité dans l’ensemble ne leur feront pas regretter un tel achat. Bref, une intégrale à acheter par tous et à offrir pour tous.
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