Angoulême 2012 : tournée « à l’américaine » du festival, part.1/2

Fraîchement revenu d’Angoulême, votre fidèle serviteur, toujours à la pointe de l’actualité (avec quelques jours de décalage, faut pas pousser non plus !) vous livre son compte rendu de cette 39ème édition du Festival International de la Bande Dessinée, dans une version express.

Jeudi 26 janvier – 10h00

Après avoir repéré les divers lieux où se dérouleront les différents évènements du festival, je suis prêt à me lancer dans le grand bain. Première étape, donc, le bâtiment Castro situé en bas de la ville, qui accueille l’exposition consacrée à l’œuvre du président de cette présente édition, Art Spiegelman. La rétrospective, supervisé par l’artiste New Yorkais qui a profondément marqué la seconde moitié du XXème siècle, est complète et richement pourvue en documents et œuvres originales – plus de 700 références en tout. Ainsi, une salle entière est réservée à l’œuvre phare de Spiegelman, MAÜS, qui a donné à la bande dessinée underground américaine ses titres de noblesse. L’intégralité des planches était ici présentée, ainsi que divers croquis et dessins préparatoires. Malgré sa forme labyrinthique un peu confuse, l’exposition présentait clairement les diverses époques correspondantes aux différents travaux de l’artiste, de ses projets divers du début à sa participation régulière aux couvertures du New Yorker, en passant par la fondation du magazine RAW dans les années 70, avec sa femme Françoise Mouly. La partie la plus suprenante de l’exposition était cependant la présentation de ses participations à la création des cartes de collection pour enfants, les Gargbage Bin Kids, rebatisée en français… Les Crados ! Un nom qui devrait évoquer nombre de souvenirs à toute une génération ayant connu cette collection dans les cours d’écoles dans les années 80.

Le mur de Maüs
Un pan de mur entièrement recouvert d'une infime partie de l'intégrale des planches de Maüs présentées lors de l'exposition

Cette visite matinale fut  en tout cas une bonne idée, puisqu’elle me permit de rencontrer le maître himself, venu donner un dernier coup d’œil à l’exposition avant l’inauguration officielle et commenter son travail à son entourage proche. L’occasion pour moi de l’aborder et de lui poser une question ô combien intéressante sur son travail (non, en fait une question plutôt bête, mais le principal à retenir est que j’ai pu lui parler sans être tétanisé par la timidité).

Art Spiegelman
Art Spiegelman, l'autre homme au chapeau...

Notons enfin pour ceux que cette exposition intéresserait, qu’elle sera visible à la BPI du Centre Pompidou à Paris, du 21 mars au 21 mai 2012.


12h30

Expo sous verreSuite à cette première exposition, rendez-vous est pris de l’autre côté du pont traversant la Charente, à la Cité Internationale de la Bande dessinée et de l’Image, pour une exposition là aussi proposée par Art Spiegelman, mais qui met cette fois en avant les comics qui ont marqué sa jeunesse, et plus généralement le monde de la bande dessinée du vingtième siècle. Dans son « musée privé », composé là encore de plus de 400 œuvres et planches originales, on peut découvrir les débuts hésitants de la bande dessinée, avec des auteurs comme Rodolphe Töpffer, Christophe ou Richard Outcault. Une deuxième partie, consacrée aux grandes heures du comic strip dans les newspapers américain, permet de retrouver des planches de Winsor McKay, George Herriman, Frank King ou encore George McManus. La suite présente quelques originaux de planches tirée de l’époque des comic-books, comme une magnifique planche de Thor dessinée par Jack Kirby. Jack Cole, Will Eisner et Carl Barks sont aussi de la partie. D’anciens et rares exemplaires de MAD permettent une transition facile vers la bande dessinée underground, où l’on retrouve bien évidemment Robert Crumb, mais aussi, Kim Deitch, Gilbert Shelton, et même des tijuana bibles du début du siècle dernier. Enfin, les deux dernières parties de l’exposition sont sûrement celles où Spiegelman s’est le plus investi, puisque la première est dédiée aux artistes ayant collaborés au magazine RAW, comme Charles Burns, Chris Ware, mais aussi les européens Joost Swarte et Jacques Tardi ; et la seconde à l’œuvre de Justin Green, qui inventa la bande dessinée confessionnelle au début des années 1970. Une exposition très intéressante en soi, mais dont les commentaires informatifs étaient assez peu présents, si ce n’est par quelques vidéos explicatives. Pour les plus curieux, des exemplaires récents des livres présentés étaient en libre consultation dans de nombreux coins lecture. Une manière ludique et relaxante de découvrir certaines œuvres méconnues du grand public.

Planche Spirit
Une planche originale du Spirit de Will Eisner

15h00

Après un bon déjeuner, je fonce au conservatoire d’Angoulême – un peu excentré du centre ville et du reste des réjouissances à mon goût – pour assister à une conférence sur la maison Marvel animée par Jean-Marc Lainé, entre autres co-auteur du très recommandable livre Nos années Strange. Bien que m’y étant rendu avec un bon quart d’heure d’avance, la salle est déjà bondée lorsque j’arrive. C’est l’occasion de faire un second constat assez accablant : pourquoi donner cette conférence dans une salle pouvant normalement accueillir une trentaine de personnes, alors que le public présent au rendez-vous était trois fois plus nombreux, certains malheureux ayant même été repoussés à l’entrée ? L’erreur est d’autant plus regrettable que le festival cette année s’intéresse cette année à un regard américain de la bande dessinée.

Jean-Marc Lainé et son auditoire

S’il confesse d’entrée de jeu avoir oublié ses notes, Jean-Marc Lainé s’en sort pourtant très bien en maître de conférence et nous sort une rétrospective impeccable de plus de 50 ans de héros Marvel. Car si Spider-Man se porte plutôt bien pour un jeune quinquagénaire, il ne faut pas oublier que les origines de la compagnie Marvel remontent à bien plus longtemps que cela. L’auteur aborde donc l’avènement du retour des super-héros dans les années 1960 avec un angle intéressant : la peur, dans un climat de guerre froide, du danger nucléaire et de l’étranger, bref, du monstre. Une idée qui revient sans cesse dans les premières créations de Stan Lee pour Marvel au début des années 60, comme avec la Chose des Quatre Fantastiques, l’évident Hulk ou encore les X-Men, mutants martyrisés et nouveaux ennemis communs de l’humanité. Appuyé de plus d’une centaine d’images d’archives, Jean-Marc Lainé nous conte les grandes heures de la maison Marvel en nous présentant les nouveaux héros et les évènements importants de chaque décennie pour les novices, mais révèle aussi des anecdotes peu connues pour les auditeurs ayant déjà une connaissance avancée des comics. Il finit par évoquer le renouveau des personnages Marvel au cinéma, ainsi que la gamme Ultimate, censée dépoussiérer les origines des super-héros en les remettant aux goûts du jour. En résumé, une conférence riche en contenu qui n’a malheureusement pas eu les honneurs d’une salle à la hauteur du sujet évoqué. Un impair à rectifier lors du prochain festival ?

Vendredi 27 janvier – 9h30

Je sors de la salle de presse de l’Hôtel de Ville lorsque je tombe nez à nez avec Pierrick alias One Eye Pied du site La Voix des Bulles ! Nous nous saluons chaleureusement, échangeons nos premières impressions sur cette édition 2012, puis Pierrick me fait part de son dilemme : il doit interviewer Stan Sakaï l’après-midi et ne parle qu’un anglais tout relatif ! Ni une ni deux, je saute sur l’occasion pour faire preuve de ma maîtrise avancée du… frangliche. Oui, moi non plus, je ne suis pas très anglophone, mais mon confrère me propose gentiment de faire l’interview ensemble. C’est pas sympa, ça ? Rendez-vous est donc pris plus tard dans la matinée pour préparer les questions.

10h00

Françoise Mouly & CoJe rejoins l’espace Franquin où Françoise Mouly présente une rencontre intitulée « Autour du New Yorker », le fameux magazine métropolitain. La femme d’Art Spiegelman y évoque son arrivée à la tête du journal en 1993, et la direction qu’elle a alors voulu insuffler aux couvertures du magazine : commenter l’actualité plus que de l’illustrer. Elle revient ainsi sur près de vingt ans d’images choc, publiées, mise de côté ou définitivement non-publiables, en compagnie de Lorenzo Mattoti et Jacques de Loustal, deux artistes européens souvent plébiscités par le journal New Yorkais. Pour ma part, j’ai été un peu déçu que Chris Ware, autre grand artiste américain prévu comme invité de la rencontre, ne soit pas présent.

New Yorker
La couverture sombre et sobre du New Yorker au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, signée Art Spiegelman

13h00

Je retrouve Pie(d) à l’Hôtel de Ville. Studieusement assis dans la salle presse, il vient de passer trois heures à uploader sa dernière émission quotidienne du festival. Nous goûtons au Cognac Summit gentiment offert par la ville, avant de nous attaquer à la préparation des questions de l’interview. Eh oui, les journalistes et podcasteurs sont définitivement très bien traités à Angoulême !

14h00

Au même conservatoire que la veille, se tenait en ce deuxième jour de festival une nouvelle conférence sur les comics. Le sujet : « Les super-héros sont il mortels ? ». Les intervenants : Xavier Lancel de Scarce, venant arbitrer le débat entre Jean-Marc Lainé précédemment présenté, et Alex Nikolavitch, scénariste, traducteur et auteur du livre Mythes et Super-Héros. Si la conférence était, d’après les échos de tous, des plus intéressantes et que la salle fut une fois de plus comblée par un public venu en masse, je n’ai malheureusement pas eu le plaisir d’y assister.

14h15

 Nous rejoignons Stan Sakaï, l’auteur d’Usagi Yojimbo, sur le stand des éditions Paquet, à l’autre bout de la ville. Le maître nous propose de sortir déguster une boisson chaude. Nous nous installons donc à la terrasse d’un bar, je propose une tournée de café et O.E.P. commence son interview. Une demi-heure après, l’interview est finie et nous n’avons toujours pas été servis. Mais qu’importe : Le père du lapin samouraï est une personne très patiente, qui s’est montré très humble et très ouvert à la discussion. Durant notre entrevue, il n’a pas hésité à nous parler de ses diverses sources d’inspirations, et des ressemblances et différences de caractère entre Usagi et Jonah Hex, lorsque je lui pose la question. Le tout est à retrouver dans un futur podcast du One Eye Club. Mais même les meilleures choses ont une fin, et nous laissons au maître le loisir de visiter le festival, tandis que nous fonçons chacun vers notre prochaine destination.

Stan Sakaï
Sakaï dans les rues d’Angoulême !

16h

Après avoir écumé les stands éditeurs des divers pavillons, je me remets en route pour la Rencontre Internationale consacrée au président du 39ème festival d’Angoulême. Encore une fois, beaucoup de monde était venu pour venir écouter Art Spiegelman, qui a su se faire désirer. En guise d’introduction à la rencontre, l’artiste confie qu’il n’avait appris sa nomination à la présidence de l’actuel festival que le lendemain de l’annonce officielle faite à Angoulême  l’année dernière ! Puis la rétrospective de la carrière de Spiegelman commence et s’avère fort intéressante, notamment lorsque l’auteur nous explique ses méthodes de travail ou quelques anecdotes toujours amusantes, comme l’idée à l’origine du très particulier septième numéro du magazine RAW dans les années 80 : le jeune homme, insatisfait de la maquette présentée, déchira les pages du magazine, que sa femme s’ingénia à récupérer et à recoller. Toute la rédaction fut bientôt prise d’une frénésie créatrice binaire : déchirer/recoller !

Durant cette rencontre, Art Spiegelman fait cependant bien attention à ne pas être trop redondant par rapport à l’exposition proposée au bâtiment Castro. L’animatrice Hillary Chute, qui a co-écrit le livre documentaire Meta MAÜS avec l’artiste, se concentre principalement sur MAÜS, ce qui a le don d’agacer quelque peu son créateur. « On ne peut pas comprendre MAÜS si on n’a pas lu le reste de mon œuvre », explique-t-il. L’auteur s’attardera donc plus volontiers sur d’autres œuvres importantes de sa carrière, telle Breakdowns. « C’était un jeu de mot à la base. D’un côté il y a l’expression to break down qui signifie « briser », ce qui évoque mon travail quand j’essaye de déconstruire les planches et le récit, de les découper pour mieux les remodeler à mon envie. Et d’un autre côté, cela fait référence au nervous breakdown, la dépression nerveuse. La couverture représente une variation d’images de moi où je tente d’avaler le contenu d’un flacon d’encre de chine. On retrouve bien ici ces deux thèmes : la déconstruction d’un image en plusieurs et une sorte de suicide symbolique ». Lorsque vient le tour des questions, l’auteur semble visiblement fatigué. « J’en ai marre de répéter toujours la même chose, d’expliquer pourquoi des souris, etc. Maintenant, je vais rentrer dans une période d’introspection, oublier MAÜS et essayer de renaître artistiquement. » À plus de soixante-trois ans, Art Spiegelman ne semble pas prêt d’arrêter sa carrière artistique, et de vouloir sans cesse surprendre le public. Tant mieux.

A propos Jean-Lau 20 Articles
Fan #1 devenu au gré des rencontres membre de l'équipe, il partage ses coups de cœur comics, cinés et animés ainsi que sa passion pour la bande dessinée en général.

1 Comment

  1. Merci pour ce « court »compte rendu. Rien que l’expo Art Spiegelman doit déjà valoir le détour.
    Un jour il faudra que je puisse faire ce festival mais c’est pas la porte à côté… 

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