Une histoire d’horreur

Suite au podcast spécial Halloween où nous nous sommes faits terriblement peur (enfin presque…), j’ai décidé de retourner aux sources du genre horrifique dans les comics. Petit voyage dans les évènements qui ont marqué ce genre si particulier et un peu méconnu, qui méritait bien que l’on s’y intéresse.

Eerie_Comics_No_1_Avon Le premier comics d’horreur en tant que tel, et qui a permis de lancer le genre, se nomme Eerie Comics, publié chez Avon Periodicals (à ne pas confondre avec le plus tardif et emblématique Eerie de chez Warren Publishing). Il date de janvier 1947, faisait 52 pages et contenait six petites histoires d’horreur dont une dessinée par Joe Kubert. Cependant, ce numéro n’aura pas de suite. La série revint ensuite en 1951, reprenant au numéro 1 et continua cette fois jusqu’au 17, avec toujours la même formule de petites histoires. Des artistes tels que Wally Wood ou encore Joe Orlando passèrent dans ces pages. Le titre change de nom au numéro 18 (en 1954) et devint Strange Worlds, s’orientant vers des histoires de science-fiction. Un parcours assez chaotique mais ce Eerie premier du nom aura eu le mérite d’avoir lancé une mode.

TalesCrypt C’est en 1950 et grâce à EC Comics que les comics d’horreur, en tant que genre, gagnent leur titre de noblesse. Cet éditeur lance à quelques mois d’écart trois publications qui resteront des classiques : The Vault Of Horror, The Haunt Of Fear et le plus connu de tous Tales From The Crypt. Tout comme Eerie Comics, ces trois séries contiennent plusieurs histoires par numéro. La différence est qu’elles sont à chaque fois introduites et conclues par un narrateur. Chaque titre avait son représentant, même si les deux autres venaient aussi raconter des histoires hors de leurs pages respectives. Surnommés les GhouLunatics, il y avait le Vault Keeper, The Old Witch et, le plus connu, le Crypt Keeper, resté notamment dans les mémoires grâce à l’adaptation télévisée de Tales from the Crypt. Ces trois personnages plaisent au point que deux d’entre eux auront même droit à une histoire qui racontent leurs origines. La formule fonctionne très bien et cela deviendra un gimmick des comics d’horreur que d’avoir un narrateur qui commence par raconter l’histoire et qui finit sur une petite « morale » (même si elle ne l’est pas toujours d’ailleurs).
Là encore, de très grands artistes sont passés sur ces séries comme Jack Davis, Wally Wood, George Roussos, Al Williamson ou Joe Orlando pour n’en citer que quelques-uns. Les comics se vendent comme des petits pains et font de émules chez d’autres éditeurs. EC s’apprête à lancer un quatrième titre, The Crypt of Terror, mais cette vague  de terreur s’arrêtèrent brutalement en 1954 à cause d’un homme : Frederic Wertham.

CCA Ce nom est bien connu des aficionados des comics car il est à l’origine, indirecte certes, de la Comics Code Authority. Vous vous rappelez ce joli petit symbole qui orne les couvertures des comics US depuis le milieu des années 50 ? Ce symbole signifie que cette autorité de régulation (et censure) a accepté que le comic soit publié et surtout distribué dans les kiosques. Aujourd’hui, seuls DC et Archie Comics soumettent leurs parutions au CCA mais les changements de distribution des comics aux USA avec le Direct Market et les boutiques spécialisées l’ont rendu obsolète.

SeductionInnoncent Mais revenons-en à Wertham. En 1954 sort le livre qui a rendu ce psychiatre célèbre : Seduction of the Innocent. Il dépeint une société dans laquelle les enfants sont pervertis par les comics qui leur envoient des mauvaises images, telle la violence à l’excès et l’homosexualité. L’affaire fait grand bruit à l’époque et reçoit beaucoup de soutien de la part du public, tellement qu’elle attire l’attention du Senate Subcommittee on Juvenile Delinquency. Cette commission gouvernementale créée en 1953 est dédiée à traiter des problèmes relatifs, comme son nom l’indique, aux problèmes de délinquance juvénile. Des audits sont tenus afin de déterminer les responsabilités des différents acteurs en cause et des solutions possibles. L’opinion publique étant de plus en plus rangée du côté du Dr Wertham, les éditeurs décident de créer la CCA, autorité indépendante visant à juger de « la bonne morale » d’un comic avant sa mise sur le marché avec des règles strictes. La CCA signera l’arrêt de mort de tous les comics d’horreur car parmi ses très nombreux codes à suivre l’on pouvait en trouver deux qui les visaient particulièrement. La première stipulait qu’il était totalement interdit d’utiliser ou de montrer dans des histoires des morts-vivants, de la torture, des vampires et le  vampirisme en général, des goules, le cannibalisme et le lycanthropisme. Ça limite quand même pas mal pour faire des histoires d’horreur ! Avec ça, l’on peut rajouter l’interdiction d’avoir des scènes avec des bains de sang ou encore que le bien doive obligatoirement l’emporter sur le mal (ce qui n’arrivait jamais dans les histoires horrifiques). La seconde règle qui finit d’achever l’horreur et tout particulièrement EC Comics est de bannir les mots Terror et Horror des titres des publication.

Avec toutes ces règles, les deux lignes les plus rentables d’EC (l’horreur et le crime) bien que soumises au Code, ne trouvaient plus de preneur dans les points de vente, leur réputation complètement entâchée. Au bord de la faillite, c’est un William Gaines (l’éditeur en chef d’EC) dépité qui décide d’abandonner totalement la publication de comics et de se concentrer sur un seul titre, Mad, qu’il transformera en magazine afin d’échapper au CCA.  Et ce fut une très bonne idée puisque ce magazine satirique existe toujours aux USA et bénéficie d’une aura de prestige.

Dans la prochaine partie, j’aborderai la « renaissance » du genre horrifique dans les années post-CCA.

A propos Steve 1698 Articles
A l'origine du projet, chroniqueur sur tous les podcasts, c'est également à lui que revient la lourde et ingrâte tâche de l'enregistrement et du montage des émissions.

2 Comments

  1. Bonne piqure de rappel Steve ! … Je ne sais pas si tu comptais en parler dans la seconde partie, mais pour moi, l’un des comics « d’horreur » les plus importants reste bien « Amazing Fantaisy #15 » (anciennement Amazing Adult Fantaisy) qui voit l’arrivé d’un certain Spider-Man; rien que ça; après des histoires de monstres et de momies ! lol
    De là à dire que sans les comics SF, avec de petites histoires et des monstres, spider-man n’aurait peut être jamais vu le jour, il n’y a qu’un pas, que je franchirais en rappelant que Stan Lee s’est servi de ce titre moribonde pour y publier comme dernière histoire celle d’un jeune ado aux supers pouvoirs d’araignée ! Sans l’espace restant dans ce titre « horrifique », « pale copie » d’un Weird Science, peut être que Spidey serait resté dans les cartons de Lee !
    Comme quoi, l’effet papillon a aussi de sacrées conséquences dans les comics ! (Je suis surpris qu’après toutes ces années, aucun scénariste n’ait pensé à faire rencontrer Spider-Man et les personnages présents dans le Amazing Fantaisy #15, surtout à l’occasion d’un des épisodes speciaux et parodiques dont l’éditeur abuse à l’occasion des anniversaires de la boite … ou même d’une épisode de Deadpool ! 😉 )

  2. Merci steve pour cet article très intéressant!
    je reste un peu nostalgique des comptes de la cryptes même si la relecture des Eerie m’a paru vraiment datée…
     

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