À l’occasion d’un re-visionnage du film culte des studios Pixar et après une rapide investigation sur le net, je me suis aperçu que si le long-métrage d’animation de Brad Bird a déjà été analysé sous bien des angles, celui des références aux classiques du 9ème art a plus souvent été évoqué que réellement disséqué.
Entendons-nous bien. Je n’ai pas la prétention aujourd’hui de relever toutes les citations et clins d’œil du film aux multiples œuvres référencées. Exit donc les allusions aux films de James Bond (quoique), Star Wars ou Indiana Jones. Derrière le clin d’œil appuyé, leur présence est seulement invoquée ici parce que les divers protagonistes partagent tous une vocation de héros dans le sens large du terme : espion, résistant, aventurier. Or, les allusions à l’histoire des comic-books du genre super-héroïque, bien que moins connues du grand public, sont en nombre et se justifient de par le double niveau de lecture du film : la crise d’identité. Tout comme les héros de papier, le protagoniste du film et ses acolytes / parents / opposants, partagent tous un même fardeau : la gestion difficile d’une double vie. Cette seconde identité secrète, qui force le protagoniste à se surpasser en même temps qu’il le fait s’interroger sur ses propres limites, quelle est-elle ? L’identité super-héroïque où l’identité civile ?
Nous verrons donc qu’à chaque partie du film, divisé en quatre grands axes, il existe des références évidentes à de nombreux héros de comics, et que ces références soutiennent une thématique souvent abordée dans ce dernier média : la recherche du Soi. Loin d’être exhaustif, ce dossier se veut une piste de double, voire triple lecture du film et ne demande qu’à être complété par vos commentaires et réflexions sur le sujet.
L’âge d’Or : l’origine des Super-Héros
Dans le premier quart d’heure du film, nous faisons la connaissance de Monsieur Indestructible et de son quotidien. Sauver des vies, arrêter des braqueurs de banque, l’homme au costume bleu pastel portant son initiale sur le torse semble un super-héros sans peur et sans reproche, largement calqué sur le premier super-héros à s’être démarqué dans le monde des comics : Superman. De ses traits caricaturés à l’excès – front proéminent, nez aquilin, mâchoire prognathe – à son costume en passant par sa super-force, l’assimilation suggérée à l’Homme d’Acier est volontaire.
Pourtant, Superman n’est pas le seul archétype auquel Mr Indestructible emprunte des éléments. Ainsi, nous découvrons vite que sa voiture civile peut se transformer en « Indestructi-mobile » truffée de gadgets, et qu’il a un jeune fan – Indestructiboy – qui tente de l’accompagner dans ses aventures et rêverait de devenir son fils adoptif. On retrouve ici des thèmes déjà présents dans les histoires de super-héros dès les premiers comics traitant du sujet. Ces leitmotivs viennent compléter le portrait de Monsieur Indestructible et permettent la comparaison avec l’autre grande figure émergente de la firme DC Comics à la fin des années 1930 : Batman.
Monsieur Indestructible peut donc être perçu dans ce prologue comme un mélange subtil entre l’Homme de Demain imaginé par le duo Jerry Siegel / Joe Shuster et le Chevalier Noir créé par Bill Finger et Bob Kane, deux héros aux antipodes l’un de l’autre. Mais cette première dichotomie remarquable ne concerne que l’identité héroïque du personnage et ne peut pas être perçue comme un signe de doute ou d’interrogation de la part du héros. Au contraire ,ce métissage culturel combine le meilleur de deux héros distincts pour en faire un être singulièrement parfait.
Doté d’une forme physique irréprochable, ses facultés mentales semblent démontrer qu’outre les muscles, Monsieur Indestructible a aussi un mental d’acier. Tout juste a-t-il un léger défaut d’arrogance, l’assurance orgueilleuse dont il fait preuve ne lui laissant aucun doute sur le caractère solitaire de sa mission. Ce dernier point tendrait d’ailleurs à le rapprocher plus d’un Batman au caractère peu sociable que de Superman, si ce n’est qu’entre le commissaire Gordon, Robin, Alfred et ses éphémères conquêtes féminines, l’entourage du héros de Gotham se révèle aussi fourni que celui de Superman.
Des conquêtes féminines, il en est question dans le film aussi, puisqu’au détour d’une de ses missions, Monsieur Indestructible tombe nez à nez avec sa charmante collègue Elastigirl. Dans un jeu de séduction rappelant celui du duo improbable Batman / Catwoman, on comprend que Metroville est sous la vigilance partagée de plusieurs super-héros. On découvre ainsi Frozone, genre d’Iceberg des temps modernes (nous aurons l’occasion de revenir sur ces deux personnages dans la seconde partie du dossier). La première apparition des super-héros dans le film se fait donc de manière plurale mais en solo, assurée car irréprochable, à l’image des premiers héros de comic-books singuliers dans tous les sens du terme.
Tout évoque donc ici sans conteste l’Âge d’Or, époque bénie des super-héros où le seul soucis des protagonistes concernant leur double identité est de trouver un moyen de cacher/dévoiler à la femme qu’ils aiment que le civil un peu gauche et le surhomme bienveillant ne sont en fait que deux facettes d’une seule et même personne. La séquence se termine d’ailleurs sur un détail ironique à ce sujet, lorsqu’au moment de prendre l’alias civil d’Elastigirl pour femme, Monsieur Indestructible oublie d’enlever son masque en entrant dans l’église. Erreur que lui fait rapidement remarquer son témoin et ami Lucius Best, le fameux Frozone. Première fêlure dans la double vie de Monsieur Indestructible, celui-ci, au moment de s’engager civilement, aurait-il peur que son côté humain ne soit pas à la hauteur pour son âme sœur ?
La cassure : le déclin des super-héros
Très vite dans le film, suite à un enchaînement de catastrophes plus ou moins contrôlées, le public arrive à douter du bien fondé des agissements de Monsieur Indestructible. Est-il réellement un protecteur ou plutôt une menace pour son entourage ? Le surhomme passe bientôt en procès pour mise en danger de la vie d’autrui et destruction de biens publics. C’en est fini de l’âge d’or des Supers, et l’opinion publique demande que les identités des héros masqués soient rendues publiques et que ceux-ci cessent leurs activités.
Accomplissant un large bond en avant dans l’histoire des comics, le réalisateur Brad Bird convoque ici une œuvre culte, une bombe sale qui explosa en 1986 à la figure de super-héros devenus entre temps plus ambigus. Métaphore sous-jacente d’un bout à l’autre du film, le pamphlet Watchmen pèse comme une menace fantôme sur les protagonistes du long-métrage d’animation, alors que les super-héros tombés en disgrâce doivent apprendre à vivre dans l’ombre d’une postérité perdue et dans la médiocrité d’une existence banale. Le premier quart d’heure du film résonne alors comme un souvenir lointain, telle la photo encadrée des Minutemen, premier groupe de super-héros ayant officié dans l’univers créé par Alan Moore et Dave Gibbons.
D’autres éléments viennent renforcer ce sentiment d’inspiration puisée dans l’œuvre des deux artistes britanniques. Ainsi découvre-t-on que Monsieur Indestructible s’est résigné à une vie normale, vivant parmi le commun des mortels sous le nom de Bob Parr, ayant pratiquement abandonné ses activités héroïques. On peut faire ici l’analogie entre Parr et Daniel Dreiberg – alias le Hibou deuxième du nom dans Watchmen – un héros qui a lui aussi raccroché.
Après la fondation d’une famille dite « nucléaire » au fonctionnement tout relatif et la prise d’un emploi minable au sein d’une compagnie d’assurance, Bob Parr s’est laissé aller au point de devenir ventripotent et vit dans le déni du présent au profit des souvenirs d’un passé glorieux.
Seules ses escapades nocturnes avec son ami de longue date Lucius Best arrivent à le sortir de sa morne existence, en piratant les fréquences de la police pour accomplir des exploits mineurs à la limite de la légalité. La scène du sauvetage d’innocents pris dans le feu d’un immeuble n’est d’ailleurs pas sans rappeler une scène analogue dans la vie du Hibou de Watchmen, lorsqu’en compagnie de Laurie Jupiter – AKA le Spectre Soyeux -, il embarque à bord de sa machine volante pour accomplir une tâche similaire. Thérapie défouloir pour les uns, acte de délivrance pour les autres, ces deux scènes ont pour même vocation de prouver aux héros que si du temps a passé, ils n’ont rien perdu de leurs réflexes et pourraient encore revenir sur le devant de la scène. Si pour les héros d’Alan Moore, la décision se fait sur le tard, l’ex-Monsieur Indestructible, lui, saute sur la première occasion de rendosser son costume quand une mystérieuse Mirage le contacte pour une mission des plus secrètes.
Une autre idée issue du roman graphique vient trouver écho dans le scénario du film des studios Pixar. Dans l’entourage de l’ancien Monsieur Indestructible, les super-héros d’antan ont une fâcheuse tendance à disparaître mystérieusement, tout comme dans Watchmen, un tueur de masques élimine un à un les héros déchus. De même que le Hibou et ses acolytes sortent de la métropole et partent dans un lieu isolé pour tenter d’arrêter le coupable, Monsieur Indestructible découvrira sur une île secrète l’horrible vérité cachée derrière les missions qu’il devait accomplir. Des décors aperçus dans plusieurs séquences du film aux sombres machines atomiques jusqu’à l’identité et aux ambitions même de l’antagoniste de l’histoire, l’intrigue de Watchmen ne cesse de hanter celle du film de Brad Bird et de tourmenter le personnage principal.
A contrario de certains héros de Watchmen, résignés à trahir leurs idéaux pour taire un lourd secret, Monsieur Indestructible se refusera au final à prendre la vie d’autrui pour sauver la sienne. Sa vertu admirable devient alors son talon d’Achille, à l’image de Rorschach, l’un des héros du chef d’oeuvre de Moore, dans le chapitre final.
L’époque des Supers est-elle vraiment révolue ? Monsieur Indestructible n’est-il qu’un vestige du passé, star démodée n’ayant plus sa place dans un monde ayant évolué trop vite pour lui ? L’ancienne Elastigirl, alias Mme Helen Parr dans le civil, a su pour sa part s’intégrer dans sa nouvelle vie, en devenant une mère au foyer et une épouse modèle.
Derrière un propos machiste assez douteux, la « flexibilité » dont elle fait naturellement preuve lui a permis de s’adapter plus facilement que son mari à sa condition de simple mortelle. Tout juste utilise-t-elle encore ses pouvoirs pour remettre les enfants à leur place, mais seulement en privé. Alors que Bob ne peut oublier son passé et cherche la moindre excuse pour reprendre sa carrière d’encapé, Helen a décidé de se projeter dans le futur et se consacre intégralement à sa vie civile de mère de famille, ayant renoncé à tout le reste : ses amies, sa reconnaissance en tant que femme active, ses formes longilignes.
C’est donc sur le plan privé que se trouve la véritable dichotomie du film, entre un père qui aimerait voir ses enfants s’épanouir en usant de leurs pouvoirs, et une mère castratrice qui leur interdit toute démonstration en public. Crise du couple et crise d’identité éloignant de plus en plus deux êtres qui semblaient pourtant se compléter, cette tension bilatérale pèse sur leurs enfants, à savoir Flèche, un jeune garçon hyperactif constamment bridé dans ses excès de vitesse, et Violette, une ado invisible si effacée qu’elle n’a même plus d’identité propre. Le petit dernier, quant à lui, semble encore normal, mais qu’est-ce que la normalité ?
Grand sujet de controverse pour les parents qui n’en terminent pas de se disputer à ce sujet. Jusqu’au jour où , excédé par ce dialogue stérile, Bob préfère cacher à sa femme ses activités extra-professionnelles. Sentant un changement d’humeur chez son mari, Helen se met soudainement à douter : et si son homme avait une « aventure » ?
Quels secrets s’ourdissent dans le dos de la famille Indestructible ? Ceux-ci arriveront-ils à déjouer le complot qui menace Metroville à temps ? Et quelles autres références à des histoires classiques de super-héros se cachent dans la suite du film ?
Vous le découvrirez en lisant prochainement la seconde partie du dossier !
çà c’est du très bon dossier.
Pour les références évidentes à Watchmen, il y a aussi et surtout la cape qui trahit le super héros (dans watchmen, Dollar Bill la coince dans la porte de la banque, dans les indestructibles c’est dans le réacteur d’un avion… avec le même triste sort…)
Sinon, j’avais pas perçu tout çà pour Superman et Batman, mais j’ajouterai aussi la famille super héroique sur le modèle des 4 Fantastiques
Merci pour la référence de la cape dont j’étais complètement passé à côté.
Pour les Quatre Fantastiques, nous explorerons cet aspect dans la deuxième partie du dossier dans un chapitre consacré à l’Âge d’Argent des comics et le retour de la mode des super-héros. Mais il y aura aussi un chapitre sur le côté espionnage du film. Saurez-vous trouver de quel anti-héros de comic-books s’est inspiré Brad Bird ? Réponse très bientôt.
J’espère que cette analyse approfondie des Indestructibles vous donnera envie de (re-)voir ce film plus complexe qu’il n’y paraît et de (re-)découvrir les comics dont il s’inspire…
Super boulot Jean Lau c’est intéressant pour moi de voir ça n’ayant toujours pas lu watchmen. J’ai vu le film qui me donne bien quelques éléments de comparaison mais j’imagine que j’en manque pas mal par rapport au comics.
C ‘est un film génial , à possédé point